Page:Jammes - Le Deuil des primevères, 1920.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je n’ai jamais osé revoir ces coins d’enfance.
Si je les revoyais ce serait avec toi,
ô toi qui m’aimes tant et ne me connais pas.
Pour ne pas trop gémir dans ce pèlerinage,
il me faut un amour dont je n’ai pas souffert,
une âme qui, longtemps, sur la prairie dorée,
à midi, au milieu des choses bourdonnées,
écoute, dans le chant de l’angelus, mourir
les colombes d’azur de mes amours fanées.

Nous passerons le pont qui ramène au village.
La croix avec le coq, la fontaine, l’école,
les tilleuls et l’auberge où est le Cheval-blanc,
le vieux jardin du presbytère où j’étais sage,
tout çà m’inclinera vers ta chère amitié.
Tu comprendras combien les choses sont bénies,
et que je tiens de Dieu ces vagues harmonies
qui montent de mon cœur comme d’un encensoir
vers les humilités des âmes très obscures,
vers un épi malade ou le petit lézard
qui se glisse dans l’émiettement d’un mur.