Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne vous y fatiguez point… Même je vous permets, exceptionnellement, des lectures libres, comme à la veille des vacances. Allez, mon enfant.

Clara d’Ellébeuse entre à l’étude où ses compagnes sont déjà au travail. Les plumes d’oie grincent ensemble sur les cahiers méthodiquement inclinés. Les enfants s’appliquent la tête penchée sur l’épaule droite, un bout de langue ressorti.

Clara d’Ellébeuse lève la planche de son pupitre qu’elle maintient longtemps ouvert à l’aide d’une règle. De sous ses livres, elle sort l’une des lettres du grand-oncle Joachim. Elle la déplie et, la figure hébétée par l’angoisse, elle en relit, pour la centième fois, la fin :

« Que je demeure seul sur la terre avec mes douleurs et mes remords, puisque vous n’avez même pas laissé à ma solitude le triste fruit de nos embrassements. »

Oh ! L’épouvantable idée qui, depuis trois jours, tord le cœur de l’enfant ! Je suis enceinte, je dois être enceinte, s’est-elle mentalement écriée avant-hier, en relisant cette lettre… Et, maintenant, elle se redit cela avec obstination… Elle ressentait quelques douleurs nerveuses et, tout à coup, l’idée folle a surgi dans sa conscience en déroute… « le triste fruit de nos embrassements. »

Alors, s’est dit Clara, c’est par des embrassements