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Clara d’Ellébeuse ouvrit l’armoire et prit le laudanum. L’inspiration de faire cette chose fut presque subite. L’idée n’était point complètement formulée dix minutes avant, lorsqu’elle brûlait les lettres de l’oncle. C’était peut-être le fait d’avoir détruit ces missives, la continuation d’une pensée que son esprit fatigué avait interrompue — puis reprise. Elle ne s’étonna pas elle-même de son acte. Elle ne le ressentait plus qu’avec difficulté, comme son corps. Elle éprouvait la paralysie presque totale de ce qu’elle accomplissait. Elle prit donc la fiole et la glissa dans son corsage.

Aucune émotion n’était sur sa figure. Elle regarda, par l’unique fenêtre de la bibliothèque, dans le parc. Il y avait là un coin humide et ombreux où elle jouait aux jardins, quand elle était petite. Alors, elle se souvint de cela. Sous l’acacia aux grandes gousses, elle plantait régulièrement des têtes de grosses roses, puis les arrosait d’un petit arrosoir vert que, pour sa fête, son père lui avait donné. Elle se rappelait de sa demande :

« Bonne-maman, faisons la pluie ? » On mettait un peu d’eau claire au fond du jouet. Quelques gouttes tombaient sur les pétales ardents. Un bruissement dans les massifs l’emplissait de crainte. Elle laissait l’arrosoir et se précipitait