Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/202

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seiller son amie. Il lui semble que dans sa poitrine se caille un flot de sang qui l’étouffe. Mais, plutôt qu’un regret, c’est une sourde irritation qu’elle ressent.

— Non… laisse-moi… laisse-moi, dit-elle.

— Non, ma chère Almaïde, reprend Éléonore, je ne me tairai pas. C’est ton chagrin, sans doute, qui te fait me parler ainsi. Mais écoute…

— Non ! Tais-toi !

— Si ; écoute-moi ; je le veux… C’est René qui m’a dit d’insister… Tu connais M. de Soulère… Il t’accompagnait à mon mariage… M. de Soulère est libre… Il est riche… Il t’aime.

Almaïde ne répond à son amie que par un douloureux éclat de rire. En quelques secondes, comme dit-on celui qui se noie, elle revoit de nombreuses images. Elle évoque l’homme ennuyeux qu’on lui propose, un geste de lui, une inflexion qui l’agacèrent le jour des noces d’Éléonore. Ah ! cet homme, sans presque le connaître, elle le hait… Elle le hait de toutes ses forces, d’une haine irraisonnée et charmante de jeune fille… Puis, tout à coup, dans ses yeux dilatés par le délire, la montagne se reflète en même temps que le battement de ses artères emplit ses oreilles d’une rumeur de cascade… Puis elle croit voir, cabré comme un maigre chevreau, Petit-Guilhem au bord d’un précipice. Il va glisser sur