Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/223

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cette cure, encore que l’on n’observe rien à ce que je prenne soin d’un oiseau ou d’une cigale. Cependant, la souffrance de ces grains m’est certaine puisque je la ressens.

Une belle rose, au contraire, me communique sa joie de vivre. Et sur sa tige on la sent bien heureuse, tellement que, par ces simples mots : « il est dommage de la couper », un homme quelconque affirme et conserve le plaisir de cette fleur.

Je me souviens très exactement de la première révélation que j’eus de la souffrance d’une chose. J’avais trois ans. Dans mon hameau natal, un petit garçon tomba, en jouant, sur un tesson de verre, et mourut de sa blessure.

Peu de jours après, j’allai dans la maison de cet enfant. Sa mère pleurait dans la cuisine. Sur la cheminée, il y avait un pauvre petit jouet. Je me rappelle parfaitement que c’était un petit cheval d’étain ou de plomb attelé à une petite barrique de fer-blanc montée sur roues.

La mère me dit : « C’est la voiture de mon pauvre petit Louis qui est mort. Veux-tu que je te la donne ? »

Alors un flot de tendresse noya mon cœur. Je sentis que cette chose n’avait plus son ami, son