Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/361

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— Mais je cours plus vite…

— Je te tiens… Tu ne méritais pas ce baiser.

Les derniers mots de ce dialogue me frappent avec une telle intensité qu’ils me rendent à ce qu’il est convenu d’appeler la réalité. Je me retrouve, visiteur quelconque, au milieu de cette chambre morte. Maintenant je ne les entends plus, je ne les vois plus, et mon regard plonge dans le jardin où grince une bêche.

Je sors. Je grimpe, par la vigne où il a passé tant de fois, jusqu’au sentier. Il a foulé cette terre. Il était là, si présent tout à l’heure, qu’il me semble qu’il vient de disparaître à l’instant, simplement, comme moi, au delà du coteau. C’était par là qu’étaient « des prés pour l’entretien du bétail[1] », qu’ils allèrent un jour de Saint-Louis, « parcourir la côte opposée[2] ».

Là, s’étend jusqu’à la montagne une si triste solitude que je m’attends à les voir surgir d’un pli de terrain, vers le ruisseau, à gauche, marchant silencieux, la tête basse et la main dans la main.



  1. Les Confessions, partie I, liv. V.
  2. Les Confessions, partie I, liv. VI.