Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/19

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coup sûr aux personnes et aux choses héroïques ; qu’il brise le joli pont vert de sa demeure pour le remplacer par un pont-levis de charpentier de village, suspendu à des cordes à puits ; qu’il se plaise à la lueur verdâtre des vitraux peints ; qu’il mette à la place des poissons de ses étangs une boue peu chevaleresque ; qu’il coupe le cou à sa basse-cour comme trop champêtre pour sa féodalité ; qu’il se fasse traîner en police correctionnelle pour avoir voulu user de son droit de nopçage ou de tout autre droit seigneurial aussi bien prouvé ; alors vous aurez en effet le véritable don Quichotte, le don Quichotte matériel, l’homme justement ridicule des temps chevaleresques ; vous aurez un fou rire de bon aloi, qui ne vous laissera pas de remords ; vous vous moquerez à cœur ouvert d’un fou qui n’aura rien de respectable. Mais, croyez-moi, il faut avoir un bien mauvais cœur pour ne pas verser de véritables larmes quand le bon héros de la Manche, cet excellent chevalier de la Triste Figure, est ramené meurtri de coups dans sa demeure. Je le vois encore doux et fier, triste et non pas abattu, disant bonjour à son ami le barbier, prenant la main du bon curé, rentrant chez soi par la petite porte de son jardin, traversant ses carrés de choux ombragés par les tournesols, dont les jolies têtes semblent garder leur maître avec amour et pitié ; du jardin, le voilà dans sa basse-cour.

À l’approche de Rossinante, l’ânesse pousse un hennissement de joie auquel répondent en chœur les trois ânons que le chevalier donna à son page ; puis arrivent à sa rencontre, son vieux chien, son vieux coq, sa vieille sœur,