Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/205

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Poussée à bout et vaincue par tant de misères, la malheureuse cherchait en vain à se rappeler les hommes qui jadis l’entouraient de leurs protestations, de leurs hommages, de leur amour. Les vieillards qui l’appelaient leur fille, les jeunes gens qui voulaient mourir pour elle, que sont-ils devenus ? Elle avait oublié même leurs noms ; à coup sûr, ils avaient oublié sa figure ! Si au moins elle avait eu en ce moment l’argent qu’elle avait dépensé rien qu’en essences, elle eût acheté à Vanves vingt arpents de terre. Aucun espoir ne lui restait. Depuis un an qu’elle était séparée du monde, s’était élevée une autre génération de vieillards et de jeunes gens pour aimer les femmes et pour les perdre ; comme aussi s’était élevée une génération de jeunes femmes pour se faire aimer et pour se perdre tout comme Henriette s’était perdue. Elle n’était donc plus à la hauteur du vice magnifique, elle n’était plus bonne que pour le vice misérable. Tombée du salon, elle n’avait plus de refuge que la borne. Ainsi elle comprenait, confusément mais avec peur, dans quelle route plus horrible encore elle allait entrer ; la prostitution n’était plus pour elle qu’une question de faim et de pauvreté. Elle en vint alors à se rappeler certains conseils, certains renseignements mystérieux que ses compagnes