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Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/87

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tique m’avait poussé ! J’étais comme un homme mourant de soif qui tient à la main une bouteille pleine d’une eau salutaire ; mais cette bouteille, trop violemment portée à ses lèvres avides, ne donne pas une goutte d’eau, elle est trop pleine.

D’ailleurs, et à tout prix et même au prix de ma damnation sur la terre, je voulais savoir ce que deviendrait l’héroïne de mon histoire ; je voulais trouver un sens à cette triste énigme, comme si j’eusse été sûr que cette énigme eût un sens.

Pauvre femme, elle avait eu le sort des femmes perdues, tantôt haut, tantôt bas ; aujourd’hui dans la soie, demain dans la boue ; passant de la misère à l’opulence, de l’opulence à la misère, jusqu’à ce que la beauté s’en aille ; alors il faut tomber dans une misère sans fond. Comme elle faisait chaque jour de nouveaux progrès dans l’exploitation de ses attraits et de sa jeunesse, elle était devenue une façon de grande dame, c’est-à-dire qu’elle était presque une femme honorable ; car, dans le vice, il y a telle position presque aussi honorée que la vertu ; à une certaine hauteur, le vice n’est plus un objet de mépris, c’est tout au plus un sujet de scandale ; le mépris reste ; au contraire, peu à peu le scandale s’efface. Henriette, ainsi posée dans une sphère élevée, proté-