Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/98

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— Je ne vous demande pas si vous avez eu des chagrins dans votre vie, repris-je d’un ton lamentable et pénétré.

— Il n’est pas de chagrin qui ne cède à un jeu de cartes, reprit-il avec un sourire, et prêt à me proposer de jouer avec lui.

— Avez-vous eu des amis, brave et digne homme ?

— J’avais un ami à dix-neuf ans, je lui ai brisé le crâne pour une servante de cabaret ; j’avais un ami à Bristol, je l’ai fait pendre pour sauver ma seconde oreille ; hier encore j’avais un ami, je lui ai gagné sa besace, son pain et son passe-port ; toute ma vie j’ai eu des amis et j’en aurai toujours, ajouta-t-il.

— Puisque vous avez beaucoup voyagé, qu’avez-vous vu de plus étonnant dans vos voyages ?

— À Bristol, j’ai vu une corde de potence se casser sous le poids du patient ; en Espagne, j’ai vu un inquisiteur refuser de brûler un juif ; à Paris, j’ai vu un espion de police s’endormir à la porte d’un conspirateur ; à Rome, j’ai acheté un pain qui pesait une once de trop. Voilà tout.

— Vous qui savez si bien ce que c’est que le bonheur, sauriez-vous par hasard ce que c’est que la vertu ?