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L’INFÂME

Tout à coup, je me sens toucher au bras : je me retourne : j’aperçois Gilberte, pâle, les yeux remplis d’angoisse. — « Écoute donc, me dit-elle, j’ai perdu Lucien ! » Je dis : « Quoi ? » Elle répète. Et alors, dans l’état d’énervement où je suis, je me sens pris d’une colère aveugle, et l’accable des reproches les plus cruels, augmentant ainsi son effroi. Je n’oublierai jamais et j’en ai encore le rouge au front, que dans mon indignation je faillis la cingler d’un coup de fouet. La pauvre petite pleurait.

Avec peine et misère, je fis tourner bride au cheval et nous rebroussâmes chemin. Gilberte se lamentait tout haut : « Mon Dieu, suppliait-elle, faites que nous le retrouvions ! Bonne Sainte Vierge, je vous promets un chapelet, je vous promets deux chapelets si nous retrouvons Lucien vie !… » Après sept ou huit minutes, nous l’aperçûmes, rond comme une grosse boule de neige, couché sur le côté et le dos au vent. Il ne souffrait pas, mais sans doute commençait-il à trouver sa situation anormale, car il grimaçait fort, et une crise de larmes devait être toute proche.

Gilberte s’en empara, comme une louve qui retrouve son petit, et ses tendres caresses séchè-