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MOISSON DE SOUVENIRS

chaque nouvelle et vaine tentative, Gonzague jurait de m’abandonner aux malices de sainte Catherine, tandis que Roseline joignait ses sermons aux siens en déclarant rêveuse et sincère :

— Moi, il me semble que je l’aime presque, tu vois ? Avait-il l’air assez coquin, pendant que Gonzague le présentait ? Il doit être très intelligent.

Elle leur trouvait toujours un air « intelligent » ou « distingué ».

Ainsi passait ma jeunesse, cachée, fraîche et embaumée comme la violette sous ses feuilles. Souvent, mes frères et sœurs mariés venaient nous voir avec leurs petites familles. Je goûtais maintenant tout le charme de la maison et surtout, à cet âge où la vie est surabondante, mon art m’apportait des joies inépuisables. Jean me devenait tout proche, quand je dessinais. Magiquement, mon crayon ressuscitait autour de moi, l’atmosphère de sa présence, comme s’il eût été ma muse, mon génie. Jean n’était-il pas la poésie de ma vie ?

Et je bénissais mère Saint-Blaise à qui je devais pour ainsi dire, mes goûts artistiques et souventes fois, j’éprouvais une violente tentation de lui écrire. Elle n’était plus à Maricourt, mais je savais où la retrouver. Cependant, je ne m’exécutais jamais : avec la tenace confiance des jeunes, je préférais attendre l’événement qui ne manquerait pas de nous rapprocher un jour ou l’autre. Car il était inadmissible, me disais-je, que nos âmes eussent été ainsi unies, pour ensuite, s’ignorer toujours. Au pis-aller, si l’événement présumé tardait trop,