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MOISSON DE SOUVENIRS

Au cours de la même visite, en parlant de chez nous, je suppose, je nommai Gonzague.

— C’est le frère qui vous précède par l’âge, n’est-ce pas ? me dit-elle. A-t-il, comme vous, une nature pour souffrir ?

Je ne sais ce que je répondis, mais je n’oubliai pas ces deux mots ; je les rapprochai ensuite, et sans doute à cause de l’esprit de contradiction qui dort en tout cœur féminin, je formai la conclusion que c’était plutôt elle, mère Saint-Blaise, qui avait un cœur gémissant et une nature pour souffrir. J’étais d’humeur changeante et je frissonnais pour un rien, soit ; mais même en proie à de noires tristesses, je restais ou redevenais vite, si gaie ! Assez gaie pour en paraître légère, me semblait-il. Tandis que sous sa sérénité trompeuse, mère Saint-Blaise demeurait, malgré tout, une impressionnable et je n’avais pas eu besoin de la fréquenter longtemps pour deviner des hauts et des bas, dans sa vie intérieure. Je m’en froissais d’ailleurs, la plupart du temps, comme d’une offense personnelle : je l’aurais voulue indéfectible, puisqu’elle était religieuse, puisqu’elle était mon aînée et que j’avais décidé de m’appuyer sur elle. La jeunesse est bien dure dans son intransigeant égoïsme.

Mère Saint-Blaise, aimant les livres, me demandait souvent, après la lecture pieuse, si je me sentais trop fatiguée pour entreprendre autre chose. Et comme je ne me sentais jamais fatiguée, elle me passait un livre profane, en ayant soin de dire : « J’ai la permission ». Et moi, j’aurais volontiers