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MOISSON DE SOUVENIRS

électriques : c’est tout. Et qu’en arrivant à la maison, quelqu’un fit la réflexion qu’une seule, de nos modestes lanternes chinoises s’était éteinte.

Durant les quelques jours qu’il passa à Montréal, quand il n’était pas chez nous, Jean me rejoignait chez mes sœurs, ou mieux, chez notre tante Xavier. Il oubliait de plus en plus sa réserve des premiers jours et s’exaspérait à prendre sa revanche de notre longue séparation. Au contraire, à mesure qu’il devenait ainsi expansif, moi je sombrais dans la réserve timide. Il me semblait que c’était trop de joie, à la fois. J’éprouvais une sorte de remords étrange à m’y abandonner. Le bonheur ici-bas, est effrayant et après l’avoir appelé de nos vœux, nous en avons peur.

Les premiers jours qui suivirent le départ de Jean ne me furent pas trop cruels. L’extase se prolongeait et dans une atmosphère factice, je passais des journées nulles et délicieuses qui étaient presque du rêve vécu. Les livres ne me disaient plus rien ; j’oubliais mon crayon et cependant l’ennui ne me menaçait pas. Volontiers, je me serais comparée à ces feuilles sèches qui planent et volettent lentement dans l’air doux et n’ont pas encore touché terre. Cependant, l’été indien se prolongeait toujours dans sa somptuosité fragile, que déjà mon bonheur s’alanguissait. L’ennui lui succéda, écrasant, puis ce furent les espoirs obstinés et sans cesse déçus. Ce n’était pas bien, de ma part, que d’espérer ainsi des choses impossibles. Jean n’avait-il pas dit qu’il faudrait attendre ? Pourquoi ? je n’en savais rien, mais avec ma nature de timide, je sentais si bien la sagesse de