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MOISSON DE SOUVENIRS

J’entendis la messe, comme j’aurais assisté au service funèbre de mon père ou de ma mère ; en revenant de l’église, je croyais vivre un cauchemar et le sol se serait dérobé sous mes pieds, que je n’en aurais pas été autrement surprise. La guerre ? Mon Dieu ! À la maison, les petits discutaient avec acharnement. Papa et Gonzague aussi. Roseline paraissait fort paisible ; maman, un peu inquiète.

Dès lors, il ne fut plus question d’autre chose que de la sinistre guerre. Tout y aboutissait fatalement. Des bouleversements s’annonçaient et l’on proférait d’angoissantes prédictions. Je renonçai à mon voyage de Saint-Claude. J’aurais voulu renoncer à tout. Rien ne me tentait plus et si la mort n’avait été aussi effrayante, j’aurais aimé mourir. La France appelait tous les siens, en état de porter les armes, même ceux qui, nés aux Colonies par exemple, n’avaient jamais foulé son sol. Le territoire de la Belgique fut violé. L’Angleterre se déclara. Y avait-il véritablement un océan entre l’Europe et nous ?

Et tous les soirs, les journaux, autrefois lecture attrayante, nous apportaient l’écho terrible de la guerre, et longtemps, je me retournais dans mon lit, fatiguée et incapable de chasser les visions brutales. Les froids vinrent : on parla des soldats qui souffriraient dans les tranchées, de la misère prochaine ; surtout, on assurait que le conflit n’était pas près de se terminer.

Enfin, presque soudainement, un assoupissement considérable se produisit en moi, comme si ma sensibilité avait reçu le coup de grâce. Tout en les