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MOISSON DE SOUVENIRS

elle voulut aussi embrasser Jean et nous fit à tous de grands adieux. Car elle partait : Thérèse l’emmenait avec elle, à la messe de minuit.

Après quelques minutes de causerie, surtout entre maman et notre visiteur, maman s’excusa et me dit :

— Jean est une visite rare, Marcelle, fais-le donc entrer au salon.

En silence, soumis comme des enfants, nous passâmes, Jean et moi, dans notre grand salon rouge, bien clos par ce soir d’hiver, les persiennes fermées sous l’habillement joli de la guipure. Aux branches de cuivre de l’électrolier, Roseline avait enroulé du feuillage avec des graines de houx. Papa et mes frères étaient allés à confesse. Victor dormait. Lydia, avec toute l’importance de ses quinze ans, avait voulu veiller, cette année. Quand maman s’était retirée, elle l’avait suivie, mais voici qu’elle reparaissait, en nous demandant la permission de faire un peu de musique.

— Pas fort, promit-elle.

Lydia, gâtée, n’était pas toujours gentille, mais elle savait se racheter, quand il lui plaisait, car elle était fine comme l’ambre. Au piano, elle nous joua des noëls, lentement, du bout des doigts, appuyant à peine. Après chacun, elle se retournait et demandait :

— C’est beau ?

Alors, pour l’encourager, Jean lui souriait. Il la regardait beaucoup, bon, indulgent, mais — je n’en pouvais douter — c’était à moi, qu’il pensait. Cependant, sa visite était si imprévue, et entre nous, subsistait une gêne si étrange, qu’à peine osions-nous nous regarder. À un moment donné, il