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MOISSON DE SOUVENIRS

lai m’asseoir près de la fenêtre, dans le salon. L’écriture très irrégulière de la suscription me sembla inconnue, mais en ouvrant la lettre, je reconnus qu’elle était de Jean. Il n’avait signé que de son initiale et les petites phrases courtes se succédaient, souvent séparées par des points de suspension. Oh ! j’eus grand’peur. Ma joie brillante, trop vite rebâtie, sans doute, chancela sur ses bases et oppressée, je lus :

« Marcelle, pardonne-moi ce qui va suivre : je souffre tellement, et depuis longtemps, à cause de toi, Marcelle !… Car pour ma part, je suis maintenant paisible et si heureux. Je m’étais aveuglé sur ma vocation et je ne voulais pas entendre la voix du bon Dieu m’appelant à devenir un autre Christ : alter Christus. C’est fini. Je suis décidé. C’est ce que j’ai voulu te dire, avant la messe de minuit, mais le courage m’a manqué… Prie pour moi, Marcelle, et surtout, ne t’afflige pas, je t’en supplie. Tu aurais tort… Mais si tu souffres, va trouver grand’mère. Avec toi, elle seule connaît mon secret. Elle est bien bonne, je t’assure, et elle saura te consoler. T’ai-je gâté les Fêtes ?… Non, n’est-ce pas ? Si le malentendu avait continué entre nous, tu aurais souffert autrement. Je te verrai au jour de l’An et aux Rois, je l’espère. J’ai grand besoin de m’épancher en toi, l’âme ouverte, enfin… Pardonne-moi, Marcelle ! »

Ma lecture finie, je pliai la lettre, la remis dans son enveloppe et glissai le tout dans la grande poche de mon tablier. Puis, je regardai dehors ; il neigeait à gros flocons larges, des flocons de la Sainte-Catherine, lents, nombreux et qui causaient