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JEUNESSE

une sorte de vertige étouffant. La provision était donc énorme là-haut, qu’il ne cessait pas d’en tomber ? On eût dit des petits morceaux de lettre déchirée et à force de les regarder, ils prenaient une teinte grise. Mais comme ils étaient fascinants à regarder !

Absorbée dans ma contemplation, je ne m’apercevais pas que la chanson fragile de la vaisselle s’était tue. Son torchon à la main, Roseline apparut tout à coup à la porte du salon ; curieuse et mutine, Lydia l’avait suivie.

— Dans le monde, fit Roseline, employant son expression favorite, à quoi penses-tu de nous abandonner ainsi avec toute la besogne ? Tu es aussi distraite que le bonhomme dont papa parlait l’autre jour.

Gonzague sortait de sa chambre ; mal éveillé, il s’approcha à son tour, en demandant ce qu’il y avait. Je m’étais levée.

— Oh ! rien, dit Roseline, en s’éloignant, toujours suivie de Lydia. C’est Marcelle qui sort d’un rêve.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous nous revîmes, en effet, à Saint-Claude, puis à Maricourt, dans ces paradis peuplés de nos âmes enfantines, nous recherchant sans mystère et causant, le cœur à l’abandon, comme Jean l’avait voulu. Ma joie de le posséder ainsi après tant d’absences et de malaise était si violente que j’écoutais ses confidences sans souffrir, comme s’il m’eût parlé d’un autre, heureuse de lui, de lui seul. Parfois, cependant, la pensée de mon malheur m’atteignait soudain, au vif ; mon visage se décomposait tout