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ENFANCE

un vertige, une sensation de glissement, à voir le chemin blanc sortir de dessous le traîneau et s’allonger et s’enfuir. Une autre chose me travaillait aussi intérieurement, tandis qu’effleuraient mon esprit, les joies confuses qui m’attendaient ; une chose bien simple : j’avais hâte. La hâte, tourment bienheureux des petits enfants et qui se fausse bien vite !

Grand’mère et tante Louise nous reçurent à bras ouverts. Ah ! elles étaient bien contentes de nous voir. Débarrassées de nos vêtements de sortie, nous nous assîmes toutes ; grand-père repartait immédiatement pour aller chercher mes frères à Maricourt, le bourg où habitait Jean. Le collège de Maricourt et notre couvent de Saint-Claude se trouvaient à égale distance de la maison de nos grands-parents, quoique celle-ci fût comprise dans la paroisse de Saint-Claude.

Ces premiers moments d’une visite représentaient ma grande épreuve. Thérèse, riant, babillant, répondant pour nous, s’en tirait fort bien. Amanda paraissait à la fois contente et déjà blasée. Quant à moi, je me tenais de mon mieux sur ma chaise, demandant avec violence au bon Dieu, qu’on ne fît pas attention à ma personne ; depuis que je connaissais le bon Dieu, j’avais pris ainsi l’habitude de lui parler très fréquemment, surtout, il faut bien l’avouer, quand je désirais quelque grâce. Hélas ! il ne m’exauçait pas toujours dans les termes que j’aurais voulus… Charmé de ma sagesse, on m’adressa aimablement la parole et mon esprit où se jouaient tantôt de séduisantes images se trouva soudain, aussi vide que le désert ; je me sentis comme