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MOISSON DE SOUVENIRS

faible et mes lèvres s’alourdirent, tandis qu’une chaleur importune m’envahissait les joues. En même temps, la recommandation de Thérèse me revenait à la mémoire : « Tâche de répondre si on te parle ! » Je répondis, mais si piteusement, qu’on décida bien vite de me laisser tranquille. Cependant, quelqu’un dit : « Est-ce curieux, comme elle est gênée… » Et à la joie d’être délivrée se mêla la honte de ce nouveau défaut.

Laissant Thérèse reprendre ses gais propos, tante Louise m’emmena avec elle ; de l’une des malles apportées du couvent, elle tira un tablier à manches, long comme le bras, mais qui m’allait puisque c’était le mien et après m’en avoir revêtue, elle me chargea de garnir les assiettes de beignes et de vol-au-vent ; car, bien entendu, mes frères arriveraient avec des appétits de bûcherons.

Ce fut parfaitement cela : ils dévorèrent, à tel point que j’étais confuse pour eux et en dépit de ma propre avidité, je refusai de me servir une seconde fois, pour ménager. On eût dit qu’ils ne s’étaient rien mis sous la dent, depuis au moins un mois. Et bientôt, de les voir circuler dans la maison, de reconnaître leurs voix familières, de les entendre parler de chez nous, je me sentis prise d’un sourd ennui ; la joie de tous me figeait et j’éprouvais le besoin d’exhaler de gros soupirs. Mais ces dépressions, que je connaissais bien, ne duraient pas.

Amanda et moi, nous nous couchâmes tôt ; elle, parce qu’elle était dormeuse, moi, parce que j’étais petite. Comme ce serait demain le Jour de l’an, nous eûmes soin de suspendre nos bas aux poteaux de la couchette. Ma sœur me prêta l’une de ses