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ENFANCE

Cependant, les vitres bleuirent, l’ombre s’introduisit dans la maison et on alluma les lampes. Celle du salon était en cuivre, forme de câble tordu et la lumière en était tamisée par un immense abat-jour rouge : elle me fascinait. On s’installa autour de la table pour jouer aux cartes et nous aurions voulu en être ; alors, pour nous dédommager, grand-père nous donna à chacun une banane et tante Louise s’en fut jusqu’au grenier nous chercher une série d’Opinion publique, reliée en un énorme volume dont les gravures nous conquirent immédiatement. Il y en avait des tristes, des gaies, des émouvantes. C’était Jean qui feuilletait et quand plusieurs pages allaient se suivre, simplement écrites, il mouillait son pouce et tournait vite vite. Et il arrivait ensuite que nos têtes se toquaient dans notre empressement à nous pencher sur les gravures, mais cela importait peu. À un moment donné, je ne sais pourquoi, mon attention fut attirée par ce qui se disait chez les grandes personnes. Tante Hermine s’écriait justement, amusée :

— Voyez donc comme c’est drôle ! Marcelle et Jean se sont toujours bien entendus.

Je me retournai : le jeune regard ardent de Thérèse nous effleura plus longuement que les autres et grand’mère qui n’avait pas tourné la tête dit :

— Pique atout.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Marraine vint m’enlever Jean. On faisait silence, on souriait et tout à coup, je me troublai en appréhendant mon tour. Jean commença :

Père, qu’est-ce qui passe le plus vite ?