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ENFANCE

étais, me semblait-il, la véritable propriétaire. La surveillante de la récréation l’enfermait dans son pupitre et je n’avais qu’à le lui réclamer. J’aurais passé des heures à le feuilleter, admirant les couleurs, les dessins, les personnages auxquels je prêtais des noms et… des expressions. À peine, aujourd’hui, me reste-t-il une poignée, des chères images qui se détachèrent du livre, les unes après les autres, comme les feuilles d’automne. Mais je m’en rappelle vivement, le plus grand nombre.

Une petite fille rustique, boucles blondes, robe rose sans ceinture et qui traversait un champ de marguerites, en tenant son gros chien par le cou. Un garçonnet, tournure gracieuse, vêtu d’un habit vert Louis XV, je crois, tricorne sur la tête, souliers à talons et qui, à l’aide d’une corde terminée par un nœud coulant, avait réussi à saisir la plus grosse parmi les étoiles sans nombre qui brillaient au-dessus de lui : la tête levée, les bras tendus, il s’apprêtait à la faire glisser jusqu’à terre. Son air rêveur me rappelait Jean ; le merveilleux de son geste m’enthousiasmait.

Et encore, une fillette de dix ans environ, répétée en deux poses différentes : robe bleue ou jaune, coiffe blanche nouée d’un ruban ciel ; elle serre frileusement d’une main, son châle sur sa poitrine, en tournant de l’autre, une cuiller dans la tasse de porcelaine posée sur le guéridon ; ou bien, les lunettes posées sur le bout du nez, elle lit gravement le journal tout comme grand’mère de qui elle a pris la place. Elle avait les traits délicats, légèrement indécis et on assurait que je lui ressemblais.