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MOISSON DE SOUVENIRS

Il y avait aussi une tête énigmatique de jeune femme brune, enveloppée d’un voile nil, des chats, essayant de griffer les poissons rouges à travers le bocal, des canards prenant leurs ébats, un garçonnet armé d’une hart avec laquelle, il essayait de pêcher de beaux nénuphars blancs. Par malheur il y avait en plus, le « petit homme jaune », haut-de-forme sur la tête, monocle à l’œil, teint bilieux et un air si haïssable, que je frissonnais d’antipathie à sa vue et que je détournais aussitôt les yeux.

Lorsque je connus, à peu près par cœur, tous les trésors du « Livre », je demandai à grand-père, timidement, s’il ne me prêterait pas la « Lunette d’optique ». J’espérais confusément qu’il me l’apporterait en cachette de grand’mère, mais ce fut celle-ci, au contraire, qui me la remit, avec une bonté digne et en me recommandant seulement d’en prendre grand soin. La Lunette remplaça donc le Livre, dans le pupitre de la surveillante ; mais m’arrivait-il de la réclamer ? Aussitôt, les petites filles m’entouraient, se confondaient en prévenances, afin qu’ensuite, je les laisse voir un peu. Il était difficile, n’est-ce pas ? de se montrer mal-à-main ? Mais après une fillette, c’était une autre et la récréation prenait fin, que je n’avais pas encore joui. Témoin de ce malheureux état de choses, la petite mère Saint-Louis dont j’ai parlé, obtint que j’allasse regarder mes cartes dans sa classe, les jours de congé.

C’était le jeudi que nous avions congé. Les pensionnaires soignaient alors un peu plus leur toilette ; quelques-unes s’attendaient à être demandées au parloir. Thérèse me mettait alors ma robe