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MOISSON DE SOUVENIRS

regarde, étonné peut-être. Ces visions m’ouvraient de brusques aperçus — mon Dieu ! tellement confus — sur les mille et une choses que je n’avais pas encore eu le temps de connaître, étant si petite. Et frémissante, soupirant d’aise, j’attendais la vie.

Au lieu de goûter, à trois heures, le samedi, nous montions au dortoir, en vue de la toilette hebdomadaire. Pour ce qui restait de la journée, Thérèse me mettait le plus souvent ma robe noire, avec un tablier de satinette noire aussi et mes chères pantoufles de tapis. Elle exigeait que je changeasse ma poche de dessous, tous les quinze jours et avant de l’envoyer dans le sac avec le linge que je venais d’enlever, j’avais soin d’en retirer mon chapelet, mes bouts de crayon, mes médailles, gommes élastiques, enfin tous les objets durs que mes doigts rencontraient ; j’y laissais mon mouchoir et à peu près invariablement, j’y oubliais le voile noir, indispensable pour entrer dans la chapelle.

D’ordinaire, je m’en avisais lorsque la cloche avait déjà sonné les rangs : alors, je me sentais chaud et froid, tout à coup et je m’asseyais sur le bord de mon lit, bien déprimée. Se pouvait-il que je l’eusse encore oublié ? Après avoir perdu ainsi un temps précieux, je courais à Thérèse déjà en rang et lui exposais ma détresse. Souvent, elle faisait d’abord la sourde oreille, puis me gratifiant d’un mot mordant, elle allait demander la clé de l’armoire aux sacs, fouillait le nôtre et en retirait enfin la fameuse poche et le sempiternel voile. Tout le monde nous attendait en silence, prêt à descendre à la chapelle, tandis que la religieuse qui était chargée des petites, sortait son carnet et y