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HISTOIRE SOCIALISTE

proposèrent de n’élire ni maîtres marchands ni syndics ou jurés-gardes, tant anciens qu’en exercice. Selon le récit des syndics des maîtres marchands, « lorsque quelques voix s’élevaient en faveur de ceux-ci, elles étaient aussitôt étouffées par les clameurs des maîtres ouvriers, qui forçaient les votants à se rétracter ».

En fait, l’assemblée ne choisit que des maîtres ouvriers, et parmi les 34 élus se trouvaient les militants, ceux qui depuis plusieurs années menaient la lutte contre la grande fabrique et contre l’aristocratie municipale du consulat protectrice du capital. Plusieurs des élus avaient été compris dans les poursuites de 1786, et au premier rang, l’intrépide Denis Mounet, emprisonné en ce moment même comme auteur « de libelles et écrits séditieux ». C’était bien la lutte économique qui se prolongeait sur le terrain politique. La grande fabrique fut effrayée et scandalisée de ce mouvement : au cours même des opérations électorales beaucoup de marchands s’étaient retirés.

Les syndics refusèrent de signer le procès-verbal des opérations, et ils adressèrent à Necker une protestation. « Les maîtres ouvriers, disaient-ils, ont nommé 34 électeurs, les dessinateurs réunis comme artistes au commerce libre ont nommé 2 électeurs par 100 individus : D’où il suit que les maîtres ouvriers, salariés par les maîtres marchands, les dessinateurs qui en reçoivent des appointements, ont leurs représentants, et que les maîtres marchands qui donnent le premier mouvement non seulement au corps de la fabrique, mais à tout le commerce de la seconde ville du royaume, 400 citoyens réunissant en propriétés foncières et mobilières plus de 60 millions n’ont pas de représentants… » Le coup est dur pour la haute bourgeoisie industrielle et marchande de Lyon : au moment même où elle songe à affirmer, contre l’ancien régime décrépit, sa primauté de classe, et où elle va gagner la partie, il semble que les petits artisans veulent prendre sa place à la table du jeu.

La bourgeoisie banquière vient au secours de la haute bourgeoisie marchande et proteste avec elle. « Nous ajouterons, disent-ils, que l’intérêt du commerce exige que la classe des maîtres marchands fabricants ait des représentants en état de rédiger les cahiers de doléances, que cette classe des marchands fabricants est la source qui vivifie le commerce de banques, commission et marchands de soie qui compose la majeure partie du commerce en gros de cette ville. » Et pour revendiquer des représentants bien à elle, la grande fabrique va jusqu’à affirmer que dans l’industrie il y a deux classes, celle des salariés et celle des dirigeants.

Au nom de la grande fabrique, le prévôt des marchands observe expressément « que les maîtres ouvriers sont bornés à fabriquer à tant par aune les matières que leur fournissent les maîtres marchands, que la main-d’œuvre seule est le partage des ouvriers, mais que l’industrie est celui des marchands. Ce sont ceux-ci qui inventent toutes nos belles étoffes et qui, correspondant