Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/111

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
HISTOIRE SOCIALISTE

n’a point encore acquis les lumières et la hardiesse de pensée que la richesse et le progrès des arts fait pénétrer dans toutes les classes de la société ; habituellement seul, absorbé par un travail continuel et uniforme, il offre l’exemple du dernier degré d’abaissement auquel la nature puisse tomber, toutes les superstitions ont alors le droit de l’asservir.

« Dans cet état de choses, et comme il n’existe point de commerce, les parties ne sont point unies entre elles par leurs besoins et leurs communications réciproques ; et comme il n’existe presqu’aucun moyen de lever des tributs dans un pays où il n’y a aucune accumulation de capitaux, la puissance du centre ne peut entretenir une force assez considérable pour maintenir l’unité et l’obéissance ; la force reste dans les parties du territoire où les richesses se recueillent et se consomment, et le règne de l’aristocratie dure autant que le peuple agricole continue à ignorer ou à négliger les arts, et que la propriété des terres continue d’être la seule richesse.

« Comme la marche naturelle des sociétés est de croître sans cesse en population et en industrie jusqu’à ce qu’elles soient parvenues au dernier degré de la civilisation, l’établissement des manufactures et du commerce doit nécessairement succéder à la culture. »

Ici Barnave constate que les institutions politiques façonnées par l’aristocratie terrienne, peuvent contrarier et retarder l’avènement de la période manufacturière et marchande. Mais « à la longue, les institutions politiques adoptent, si l’on peut s’exprimer ainsi, le génie de la localité » c’est-à-dire qu’elles s’adaptent nécessairement aux conditions économiques nouvelles d’une région déterminée, et Barnave formule avec une force admirable la conclusion de cette sorte de déduction historique : « Dès que les arts et le commerce parviennent à pénétrer dans le peuple et créent un nouveau moyen de richesse au secours de la classe laborieuse, il se prépare une révolution dans les lois politiques ; une nouvelle distribution de la richesse produit une nouvelle distribution du pouvoir. De même que la possession des terres a élevé l’aristocratie, la propriété industrielle élève le pouvoir du peuple ; il acquiert la liberté, il se multiplie, il commence à influer sur les affaires. »

« De là, une deuxième espèce de démocratie : la première avait l’indépendance, celle-ci a la force ; la première résultait du néant des pouvoirs pour opprimer les hommes, celle-ci d’un pouvoir qui lui est propre ; la première est celle des peuples barbares, celle-ci des peuples policés. »

« Dans les petits états, la force de ce nouveau pouvoir populaire sera telle qu’il y deviendra quelquefois maître du gouvernement, et une nouvelle aristocratie, une sorte d’aristocratie bourgeoise et marchande, s’élèvera par ce nouveau genre de richesse. »

Dans les grands états, toutes les parties se lient par une communication réciproque : il se forme une classe nombreuse de citoyens qui, avec les