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HISTOIRE SOCIALISTE

grandes richesses de l’industrie a le plus puissant intérêt au maintien de l’ordre intérieur, et qui, par le moyen de l’impôt, donne à la puissance publique la force nécessaire pour faire exécuter les lois générales. Une somme considérable d’impôts qui sans cesse se porte des extrémités au centre et du centre aux extrémités, une armée réglée, une grande capitale, une multitude d’établissements publics deviennent autant de liens qui donnent à une grande nation cette unité, cette cohésion intime qui la font subsister. »

On devine sans peine l’application de ces principes si nets à la Révolution française. La croissance de la richesse industrielle et mobilière, de la bourgeoisie industrielle et marchande, a peu à peu diminué la puissance de l’aristocratie fondée sur la propriété de la terre. À cette aristocratie terrienne, à ce système féodal morcelé et immobile elle a substitué, par les liens du commerce, de l’échange et de l’impôt, la force unitaire et centralisée des monarchies modernes : et par la croissance d’une classe nouvelle plus industrieuse et plus populaire, la démocratie bourgeoise s’est substituée à l’oligarchie des nobles. Selon le degré de force déployé en chaque pays de l’Europe par la propriété industrielle et mobilière, la révolution économique a été plus ou moins profonde. Et comme le développement technique de l’industrie a été plus rapide et plus vigoureux en France qu’en Allemagne, comme d’autre part les révolutions anglaises du dix-septième siècle, déjà en partie bourgeoises, ont éclaté avant le grand essor industriel du dix-huitième siècle et qu’en France au contraire le mouvement ajourné jusqu’à la fin du dix-huitième siècle a participé de la force industrielle accrue de la bourgeoisie, c’est en France que la Révolution politique, fruit plein et mûr de la révolution économique en sa plus vigoureuse saison, s’est rapprochée le plus de l’entière démocratie.

De même que Barnave dans son esquisse générale de l’évolution sociale devancé l’œuvre magistrale de Marx, (en s’arrêtant bien entendu au stade bourgeois et sans entrevoir le stade prolétarien), de même dans l’interprétation économique des différences de la Révolution française plus tardive et plus démocratique à la Révolution anglaise plus précoce et plus mélangée d’aristocratie, il a devancé expressément le lumineux commentaire que Saint-Simon a donné, dans son Catéchisme industriel, du mouvement anglais et du mouvement français. Il faut que je cite encore une page où Barnave résume fortement sa pensée, car il est important pour le prolétariat qui cherche encore sa route dans un jour douteux, de constater à quel degré de clarté était parvenue, quand éclatèrent les événements décisifs, la conscience révolutionnaire de la bourgeoisie. « Dans les gouvernements d’Europe, la base de l’aristocratie est la propriété de la terre, la base de la monarchie est la force publique, la base de la démocratie, la richesse mobilière.

« Les révolutions de ces trois agents politiques ont été celles des gouvernements. »