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HISTOIRE SOCIALISTE

la cité. Dès 1664, elle laïcise la Halle aux Blés, en enlevant à l’évêque de Paris ce qu’on appelait la tierce semaine, c’est-à-dire le prélèvement des droits de Halle une semaine sur trois. L’Église est évincée du service d’approvisionnement. Elle est évincée aussi de l’administration des hôpitaux. Par exemple, l’Hôtel-Dieu, en 1789, était sous la surveillance temporelle d’un Conseil ainsi composé : l’archevêque de Paris, le premier président du Parlement, le premier président de la Chambre des Comptes, le premier président de la Cour des Aides, le procureur général du Parlement, le lieutenant général de police et le prévôt des marchands.

Il y avait en outre dix administrateurs laïques, un receveur charitable également laïque, des officiers (un greffier, un notaire, un procureur au Parlement, un procureur au Châtelet). De même pour Saint-Louis, pour les Incurables, la Santé, Notre-Dame de la Pitié, la Salpêtrière, Bicêtre, les Enfants Rouges, l’élément laïque et bourgeois prédominait et de beaucoup dans l’administration (voir Monin). La bourgeoisie parisienne avait mené de front la conquête administrative et la conquête économique de la cité, et elle avait en 1789 une force d’élan irrésistible.

Pour soutenir ce mouvement ascendant, il ne lui avait certainement pas suffi de la puissance que lui donnaient ses rentes sur l’Hôtel de Ville et créances sur le roi ou ses opérations proprement financières et capitalistes. Mirabeau, dont j’ai déjà cité la phrase tranchante sur l’incapacité commerciale de Paris prononcée dès le premier jour de la Constituante, revient à la charge dans son célèbre mémoire du 15 octobre 1789, à Monsieur, comte de Provence et frère du roi. « Paris engloutit depuis longtemps tous les impôts du royaume. Paris est le siège du régime fiscal abhorré des provinces ; Paris a créé la dette ; Paris, par son funeste agiotage a perdu le crédit public et compromis l’honneur de la nation. Paris ne demande que des opérations financières ; les provinces ne considèrent que l’agriculture et le commerce. »

Le plan politique de Mirabeau explique cette véhémente diatribe. Mais elle est doublement injuste. D’abord cette activité capitaliste et financière où Mirabeau ne voyait qu’une sorte d’échauffement maladif était la condition même du vaste essor industriel qui devait suivre : Paris ne faisait que devancer en ce point la France toute entière, et cette centralisation préalable des ressources était le ressort nécessaire du mouvement général. Comment auraient pu être organisées les entreprises de tout ordre du xixe siècle si le Paris du xviiie n’avait pas déjà créé au centre le merveilleux instrument de finance, de crédit ? Mais Mirabeau était injuste encore envers Paris en réduisant son activité à ces entreprises de finance. Un patient et multiple travail de négoce et d’industrie était le fond de la vie parisienne, et sans ce support résistant, tout l’édifice d’agiotage, et même de rente, se serait écroulé vite comme une maison de papier.

Ce qui est vrai, c’est que dans le mélange et la complication de la vie de