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HISTOIRE SOCIALISTE

dis que les bras manquent à l’agriculture, les glaneurs qui en sont les parasites, sont en nombre et en force, il ne s’embarrassent ni des plaintes, ni de la surveillance, rien n’arrête leur déprédation ; sans foi comme sans honneur, ils préfèrent ce métier à celui de moissonneur, parce que le profit de ce dernier est moindre et exige plus de travail que celui de glaneur.

« Ces gens ne connaissent d’autres lois que l’intérêt et le brigandage ; la crainte est le seul moyen capable de les arrêter. Il serait donc à souhaiter qu’à cet effet on augmentât la maréchaussée, ce corps si utile pour la sûreté des villes et des campagnes, que les cavaliers se dispersassent dans les temps de la moisson, qu’ils se montrassent dans les champs qu’on recueille, qu’ils punissent les dégradateurs et ceux qui glaneront avant le moment prescrit par les ordonnances et qu’ils ne permissent le glanage qu’aux enfants, aux vieillards et aux personnes incapables de travailler, qui seront reconnues telles par un certificat du curé et du syndic. » Quelle âpreté ! et aussi quel aveu !

Les pauvres manouvriers qui moissonnent sont si mal payés que le glanage est plus fructueux : et on devine qu’en interdisant le glanage, les propriétaires veulent accroître encore la main d’œuvre immédiatement disponible pour la moisson et en abaisser encore le prix.

Mais allez au cahier du Tiers État de la même sénéchaussée du Boulonais et vous y trouverez à l’article 17, la même condamnation du glanage : « Ils demanderont qu’en interprétant les règlements faits au sujet du glanage, il soit défendu, sous peine de prison, à toute personne de glaner sans en avoir obtenu la permission, par écrit, des officiers de police ou des syndics, lesquels ne pourront l’accorder qu’aux enfants au-dessous de quatorze ans, aux vieillards âgés de soixante-dix ans et aux infirmes. »

Les propriétaires nobles appellent les cavaliers de la maréchaussée dans les champs où tombent les épis : les propriétaires bourgeois ou paysans réclament la prison contre les glaneurs. Partout ici, l’exclusive propriété individuelle s’affirme contre l’antique droit des pauvres avec la même force et la même âpreté.

Au contraire, voici le village du Pin qui se plaint amèrement des entraves apportées au droit de glanage. Les pauvres habitants, au sixième article de leur cahier de doléances, disent : « Les fermiers ont la dureté de ne laisser glaner qu’en même temps que leurs bestiaux viennent pâturer ; cela fait un tort considérable aux pauvres habitants à qui on ôte la liberté de ramasser les épis restant en terre. Il est intéressant d’ordonner que le glanage sera permis à mesure qu’on enlèvera les gerbes et que défenses seront faites aux fermiers de mettre leurs troupeaux dans lesdites terres jusqu’à ce que le glanage ait été entièrement fait. »

Et ils ajoutent : « Les fermiers ont l’horrible habitude de faire faucher les blés au lieu de les faire scier avec des faucilles, et de cette horrible habi-