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HISTOIRE SOCIALISTE

nécessaires. En conséquence, ils demandent pour eux et pour leurs voisins que cet avantage leur soit rendu. »

Enfin, les habitants de Pont-l’Évêque demandent que la vaine pâture s’étende au delà de la limite des paroisses : ce n’est plus du communisme local, c’est une sorte de communisme régional qu’ils voudraient instituer en ce qui concerne le pâturage. « Les habitants de Pont-l’Évêque et plusieurs désireraient que le parcours fût général et réciproque entre toutes les communautés, ce qui paraîtrait assez juste. Tous les habitants sont sujets du Roi et pour mieux dire de la même famille. N’est-il pas juste que les avantages qui sont refusés à une partie du terrain pour la nourriture des bestiaux puissent se recouvrer sur un terrain voisin qui a du superflu ? »

J’ai tenu à multiplier les citations, car il faut que les paysans parlent, pour ainsi dire, dans cette histoire et racontent l’expropriation qu’ils ont subie. Il est clair que depuis le mouvement de l’agriculture intensive et l’édit de 1771 sur les clôtures, qui est une suite de ce mouvement, la vaine pâture était menacée : et elle a reculé d’année en année. Encore une fois, je ne prétends pas que son maintien fût conciliable avec l’exploitation intensive du sol, et c’est assurément sous d’autres formes que le socialisme appellera les paysans à la copropriété de la terre : il n’y en a pas moins là une dépossession qui est un titre de plus aux prolétaires ruraux pour les revendications futures.

Dans cette lutte des paysans contre la propriété toujours plus exclusive, pour le droit de pâture, ce sont surtout les seigneurs qu’ils rencontrent devant eux. Dans le glanage, nous avons vu qu’il y avait souvent conflit entre les pauvres du village et les riches laboureurs du Tiers État, les propriétaires paysans, et même les seigneurs faisaient mine parfois d’intervenir au profit des pauvres : c’est que les terres à blé appartenaient, pour la plus grande part, au Tiers État. Au contraire, les bois et les prés sur lesquels s’exerçait le droit traditionnel de la vaine pâture appartenaient surtout à la noblesse et au clergé. Dupont de Nemours nous donne, à cet égard, des chiffres très intéressants :

« Les bois, les prés, les étangs et autres biens de pareille nature, ne payent point de taille d’exploitation, mais sont soumis à une taille de propriété lorsqu’ils appartiennent à l’ordre laborieux : ils ne sont soumis à aucune taille lorsque le propriétaire est noble, ecclésiastique ou privilégié, et cette espèce de biens forme la plus grande partie de la richesse des ordres supérieurs et, par conséquent, une partie considérable de la richesse de la nation puisque, proportionnellement, ces ordres sont de beaucoup les plus riches.

« Les écrivains et les administrateurs qui ont fait le plus de recherches sur la valeur des récoltes et des revenus du royaume, évaluent à 490 millions le produit total des prairies et à 120 millions seulement les frais d’arrosage, de garde et de fauchaison ; ce qui laisse 370 millions pour le pro-