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HISTOIRE SOCIALISTE

et la rédaction vigoureuse du jeune Barnave est préférée, pour cette adresse, à celle de Malouet. En même temps l’Assemblée s’organise : elle se divise en vingt bureaux et procède à l’appel nominal de tous les députés, qu’ils soient de la noblesse, du clergé ou du Tiers-État. Elle agit donc comme Assemblée nationale et se prépare à donner défaut contre les non répondants.

Cette ferme attitude donne courage à la partie pauvre du clergé, et dès le 13 juin, le curé Jallet et quelques autres se rendent au milieu des députés du Tiers. Les forces ennemies commençaient donc à se disloquer, et on pouvait croire dès ce moment que les Communes avaient gagné la bataille. Pourtant les difficultés restaient grandes, et quand l’appel nominal fut terminé, l’abbé Sieyès, dans la séance du 16 juin, posa devant l’Assemblée anxieuse la question redoutable : Comment se constituer et comment se nommer ? Subtilité parlementaire ! diront les esprits légers : non, la Révolution naissante tenait toute entière dans ces formes. Donc l’abbé Sieyès dit ceci : « La vérification des pouvoirs étant faite, il est indispensable de s’occuper sans délai de la constitution de l’Assemblée. Il est constant, par le résultat de la vérification des pouvoirs, que cette assemblée est déjà composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt seize centièmes au moins de la nation. Une telle masse de députation ne saurait être inactive par l’absence des députés de quelques bailliages, ou de quelques classes de citoyens ; car les absents qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présents d’exercer la plénitude de leurs droits….. De plus, puisqu’il n’appartient qu’aux représentants vérifiés de concourir à former le vœu national et que tous les représentants vérifiés sont dans cette Assemblée, il est encore indispensable de conclure qu’il lui appartient et qu’il n’appartient qu’à elle d’interpréter et de présenter la volonté générale de la nation ; nulle autre chambre de députés, simplement présumés, ne peut rien ôter à la force de ses délibérations….. La dénomination d’assemblée des représentants connus et vérifiées de la nation française est la seule dénomination qui convienne à l’assemblée dans l’état actuel des choses, la seule qu’elle puisse adopter, tant qu’elle ne perdra pas l’espoir de réunir dans son sein tous les députés encore absents. »

Au fond, la motion de Sieyès proclamait le droit souverain du Tiers État : seul, malgré l’absence des autres ordres, il avait pu vérifier les mandats des députés, et, au contraire, la vérification à laquelle les autres ordres avaient procédé séparément était nulle. Il y avait un ordre qui portait en lui la Nation, c’était le Tiers : et les autres, s’ils ne se rattachaient pas au Tiers, n’étaient que néant.

Mirabeau, toujours préoccupé de développer la Révolution en évitant les conflits violents, s’effraya de la vigueur tranchante des formules de Sieyès, et il proposa aux communes de prendre un titre qui leur donnait, si je puis dire, une grande étendue d’existence, mais qui ne niait pas brutalement les autres ordres. « Appelez-vous, leur dit-il, représentants du peuple