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HISTOIRE SOCIALISTE

du Tiers et en repoussant le vote par tête qui en est la suite nécessaire a créé une situation inextricable. Le roi oublie de dire qu’au moment où la démarche solennelle des communes allait décider le bas clergé à la réunion et y acculer aussi la noblesse, c’est lui qui a subitement ranimé la résistance des privilégiés en évoquant devant lui le différend qui allait être réglé. Par faiblesse ou duplicité il a fait le jeu des nobles têtus, des prélats intrigants, et c’est la nation qu’il accuse. J’imagine que dans le silence même des communes devait gronder une sourde protestation. Et qu’offre le roi pour mettre fin à ce conflit ? C’est de consacrer à jamais la prétention des privilégiés et l’impuissance de la nation ; il dit, en l’article 1er  de sa déclaration : « Le roi veut que l’ancienne distinction des trois ordres de l’État soit conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume ; que les députés librement élus par chacun des trois ordres, formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec l’approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être considérés comme formant le corps des représentants de la nation. En conséquence, le roi a déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l’ordre du Tiers-État, le 17 de ce mois, ainsi que celles qui auraient pu s’ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles. »

Il brise donc l’unité de la représentation nationale. De plus, en un deuxième article, se substituant même aux Trois ordres, il déclare valider tous les mandats sur lesquels il ne s’est point élevé de contestation. Enfin il soustrait expressément à toute délibération commune « toutes les affaires qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains États-Généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres ».

Ainsi c’est la noblesse qui dira si la propriété féodale doit être maintenue ou abolie : c’est la noblesse qui décidera du sort de la noblesse : c’est le clergé qui décidera des privilèges du clergé : l’unité que la bourgeoisie se flattait d’avoir donnée à la France n’est qu’un leurre ; il y a des ordres séparés les uns des autres par des abîmes : et chacun d’eux est la forteresse où des privilèges sont enfermés. Ces garanties ne suffisent pas au clergé, et pour le rassurer le roi déclare en un article spécial : « Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline ecclésiastique, le régime des ordres et corps séculiers et réguliers. » Le roi ne bafoue pas seulement la nation, il humilie la royauté elle-même, et il en livre à jamais le pouvoir démembré aux ordres privilégiés.

Et comme si la représentation nationale n’était pas assez abaissée et anéantie, le roi décide que dans les cas très rares où les trois ordres délibéreront en commun sur des objets d’ailleurs insignifiants, le public ne