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HISTOIRE SOCIALISTE

tion du temple national pour nous commander d’être heureux ? Qui vous fait ce commandement ? votre mandataire. Qui vous donne des lois impérieuses ? votre mandataire, lui qui doit les recevoir de vous, de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d’un sacerdoce politique et inviolable ; de nous enfin de qui seuls, vingt-cinq millions d’hommes attendent un bonheur certain, parce qu’il doit être consenti, donné et reçu par tous. »

Le marquis de Brezé s’approche du président et lui dit : « Monsieur, vous avez entendu les volontés du Roi. » Mirabeau se lève indigné, véhément, et de toute la puissance de sa voix et de son geste : « Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des États Généraux, vous qui n’avez ici ni place ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque, et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; allez dire à votre maître que nous sommes ici par la force du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes. »

Toute l’assemblée s’associe d’un cri à ces paroles. Sans dire un mot le maître des cérémonies se retire : l’assemblée reste un moment silencieuse et Sieyès la ramène à l’entière conscience de la réalité et de son droit par ces mots décisifs et calmes : « Nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier : délibérons. »

Mirabeau, comme à la veille du combat, veut revêtir les élus de la nation d’une armure d’inviolabilité. L’assemblée adopte un décret qui déclare que la personne de chaque député est inviolable ; et que quiconque portera atteinte à ce droit supérieur sera infâme et traître envers la nation et coupable du crime capital. S’étant ainsi armée elle-même de la foudre, l’assemblée se sépara, et s’ajourna au lendemain matin.

Ainsi finit cette étrange journée de coup d’État manqué. Par quelle aberration la Cour, provoquant ainsi la Révolution, ne s’était-elle point préparée à écraser d’emblée toute désobéissance ? Le Tiers-État brave, sur l’heure, l’ordre du Roi : et le formidable appareil militaire qui enveloppait l’Assemblée reste inactif et inutile. La Cour n’avait-elle point prévu la résistance annoncée pourtant dès le 20 ? pourquoi était-elle si hautaine envers la nation quand elle n’osait même pas congédier Necker désavouant le roi ? Contradiction des pouvoirs déclinants dont la violence déréglée se dissipe et se dément-elle-même.

Le coup retentissant et vain frappé par le Roi semble n’avoir eu d’autre effet que de hâter la réunion des ordres. La minorité de la noblesse comprend qu’il faut opter entre le coup d’État et les Communes : et elle va résolument aux Communes ; de même le clergé ; et pour couvrir d’un voile décent la défaite du haut clergé abandonné et comme renié par les curés, le Roi, par une lettre du 27 juin, invite l’ordre du clergé tout entier à se réunir aux communes.