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HISTOIRE SOCIALISTE

sera au peuple révolutionnaire l’offensive déclarée. Le grand ressort de la puissance royale est cassé dès le 14 juillet, ou tout au moins si bien forcé qu’il ne se relèvera plus jamais entièrement. Et déjà, dans ces journées mêmes de coup d’État et d’agression, une sorte de paralysie se faisait sentir…

Pendant que la Bastille était investie, ni Busenval, ni le maréchal de Broglie ne se risquèrent à prendre le peuple à revers. Qu’attendaient-ils et pourquoi donnaient-ils à de Launay l’ordre de tenir jusqu’au bout au lieu de se hâter à son secours !

Évidemment une crainte toute nouvelle des responsabilités avait envahi ces cœurs routiniers, qui n’étaient habitués qu’à une forme du péril, et le vaste soulèvement de tout un peuple, sans abolir leur courage, le déconcertait. Leurs instructions d’ailleurs devaient être vagues. Dès le 14, Louis XVI répond aux envoyés de l’Assemblée qu’il est impossible que les événements de Paris soient la suite des ordres données aux troupes : quel était donc le plan du Roi ?

Peut-être, pour rassurer sa conscience, avait-il systématiquement refusé de prévoir la suite probable des événements. Peut-être s’imaginait-il que Paris, terrassé et comme aplati par la seule présence d’un vaste appareil militaire, cesserait d’être pour l’Assemblée un secours tumultueux, et que celle-ci, sentant désormais sur elle le poids mort de la capitale immobilisée, marcherait incertaine et trébuchante, prête à tomber au moindre choc.

Le Roi, averti par la journée du 14, apprit à compter avec la force de la Révolution : il rusera avec elle ou appellera contre elle les grandes armées de l’étranger : mais dès ce jour il renonce à toute agression directe, à toute offensive déclarée.

L’Assemblée, ayant toujours à déjouer l’intrigue, mais n’ayant plus à redouter et à repousser la force royale pourra entreprendre la lutte contre une autre grande puissance du passé, l’Église.

En même temps qu’elle libérait ainsi l’Assemblée nationale la journée du 14 juillet donnait au peuple une première conscience de sa force, et à Paris conscience de son rôle. Certes l’Assemblée restait grande : pendant ces jours de tourmente c’est vers elle que le Comité permanent des électeurs députait sans cesse, et la Révolution parisienne ne se sentait vraiment légitime et forte que par son contact avec la Révolution nationale.

D’ailleurs, l’Assemblée elle-même avait donné la première de beaux exemples de fermeté et même d’héroïsme. Son serment à la salle du Jeu de Paume, sa résistance sereine et invincible après la séance du 23 juin avaient électrisé tous les cœurs, et les plus intrépides combattants de Paris n’avaient d’autre ambition que de se montrer dignes des grands bourgeois révolutionnaires qui, sans arme, et par la seule force du droit et du courage, avaient vaincu. Il n’en est pas moins vrai que seule et sans le secours du peuple de Paris, l’Assemblée nationale aurait fini par succomber. Ainsi la Révolution qui