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HISTOIRE SOCIALISTE

verra sans doute que certains droits ne peuvent être rachetés séparément les uns des autres, et qu’ainsi, par exemple, on ne devrait pas avoir la faculté de se rédimer du cens qui constate et consacre le droit seigneurial, si l’on ne rachetait pas en même temps les droits casuels et tous ceux qui dérivent du droit censitaire. »

Mais il allait plus loin et, sous prétexte de défendre la petite propriété, liée selon lui au régime féodal, il invitait l’Assemblée à maintenir celui-ci. « J’invite de plus l’Assemblée nationale à réfléchir si l’extinction du cens et des droits de lods et ventes convient véritablement au bien de l’État. Ces droits, les plus simples de tous, détournent les riches d’accroître leurs possessions de toutes les petites propriétés qui environnent leurs terres, parce qu’ils sont intéressés à conserver le revenu honorifique à leur seigneurie. Ils chercheront, en perdant cet avantage, à augmenter leur consistance extérieure par l’étendue de leurs possessions foncières, et les petites propriétés diminueront chaque jour. Cependant il est généralement reconnu que leur destruction est un préjudice pour la culture ; que leur destruction circonscrit et restreint l’esprit du citoyen, en diminuant le nombre des personnes attachées à la glèbe ; que leur destruction enfin, peut affaiblir les principes de morale, en bornant de plus en plus les devoirs des hommes à ceux de serviteurs et de gagistes. » Quelle ironie ! C’est dans l’intérêt de la propriété paysanne que l’on entend maintenir sur elle les droits féodaux. Le Roi proclame, en somme, que l’indépendance de la propriété paysanne est impossible. Ou elle paiera des redevances aux nobles, ou si les nobles ne peuvent plus éparpiller ainsi sur un grand nombre de petits domaines leur suzeraineté et s’attacher par un lien de vassalité un grand nombre de cultivateurs, ils achèteront les petits domaines. Ou vassal, ou domestique de ferme, voilà l’alternative à laquelle le Roi réduit les paysans. Et s’il était vrai que la disparition de la propriété féodale dût donner un nouvel élan à la grande propriété foncière capitaliste, qu’en faudrait-il conclure ? Non pas que les paysans doivent supporter le joug féodal : mais qu’après l’avoir brisé ils doivent briser aussi le joug propriétaire.

L’Assemblée ne regardait pas aussi loin dans l’avenir ; mais la réponse du Roi lui parut inacceptable : C’était en effet la radiation des décrets du 4 août. Elle insista pour leur promulgation, et le Roi, recourant encore à la ruse, annonça par une lettre du 21 septembre, qu’il ne pouvait promulguer encore les décrets du 4 août, puisqu’ils n’avaient pas pris définitivement forme de lois, mais qu’il allait les publier, et il ajoutait : « Je ne doute point, d’après les dispositions que vous manifestez, que je ne puisse, avec une parfaite justice, revêtir de ma sanction toutes les lois que vous décréterez sur les divers objets contenus dans vos arrêtés. » Ainsi le Roi exprimait publiquement l’espoir que l’Assemblée, par ses arrêtés définitifs, éluderait si bien ses décrets de principe du 4 août, que lui-même, gardien du droit féodal, pour-