Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/349

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
339
HISTOIRE SOCIALISTE

aristocrates refirent en quelques jours l’unité révolutionnaire. Le 1er octobre un dîner de gala est donné dans la salle d’Opéra du château de Versailles aux gardes du corps ; les princesses, les marquises, les duchesses font le tour des salles et animent l’enthousiasme royaliste ; les musiciens jouent l’air fameux : Richard, ô mon Roi l’univers t’abandonne. »

La Reine conduisant le Dauphin par la main, paraît au milieu des acclamations : le Roi qui revenait de la chasse est conduit aussi à la salle du festin ; la chaleur des vins et du dévouement monte à la tête ; quelques gardes du Corps arrachent leur cocarde tricolore et la foulent aux pieds, et les femmes de la Cour distribuent des cocardes noires. Le Cointre, commandant de la garde nationale de Versailles, refuse de quitter la cocarde tricolore et il est insulté. Sa présence et celle d’autres officiers de son corps semble bien indiquer qu’il n’y avait pas un plan très net de la Cour. Mais qui sait aussi si celle-ci n’avait pas espéré entraîner en la mêlant aux gardes du Corps la garde nationale aigrie par les attaques et les quolibets du peuple ? Un des officiers de la garde nationale, un gros boucher de Versailles s’associe en effet aux aristocrates et rejette comme eux la cocarde tricolore. Un délire contre-révolutionnaire échauffe les esprits.

Du coup, Paris fut en Révolution. De tous côtés, les citoyens s’assemblent : au bout des ponts, à la Halle s’organisent des réunions ; au faubourg Saint-Antoine les ouvriers se lèvent en masse pour défendre la liberté ; les femmes de la Halle se forment en cortège, et entrent dans les maisons, invitant les femmes à se joindre à elles. Des hommes armés de piques, de fusils, de croissants, suivent ou entourent les femmes en marche.

Dans tous les groupes on dénonce à la fois la perfidie de la Cour et la mollesse des Trois Cents de l’Assemblée des représentants de Paris. Les arrivages de blé se font plus rares : et on dirait que Paris veut se fuir lui-même pour fuir la disette. C’est au cri de : à Versailles, à Versailles ! que le 5 octobre, dès neuf heures du matin, une foule énorme se masse devant l’Hôtel-de-Ville ; les représentants qui avaient siégé très tard la veille n’étaient pas encore réunis. Les femmes veulent pénétrer à l’Hôtel-de-Ville ; le chevalier d’Hermigny, aide-major de la garde nationale, forme ses hommes en bataillon carré, et ils opposent leurs baïonnettes à la poussée des femmes.

Les pierres volent sur la garde nationale : celle-ci, pour éviter une collision sanglante se replie dans l’Hôtel-de-Ville : les femmes y pénètrent, et le chevalier d’Hermigny leur demande seulement de n’y point laisser entrer les hommes : elles le promettent et font en effet la police elles-mêmes à la grande porte de l’Hôtel-de-Ville. Mais pendant ce temps, la petite porte, donnant sur l’arcade est forcée : il devient inutile de garder la grande, et un peuple immense, hommes et femmes mêlés, envahit les salles de l’Hôtel-de-Ville. Les représentants, avertis par le tocsin qui sonnait sur tous les districts, arrivèrent un à un : le peuple les somme d’organiser le mouvement et de sauver