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HISTOIRE SOCIALISTE

pagnent. L’une d’elles, Louise Chably, harangua le Roi, qui l’embrassa en lui parlant avec une sorte d’émotion de la souffrance du peuple.

Mounier insista auprès des ministres pour que le Roi accordât immédiatement l’acceptation pure et simple des articles constitutionnels et de la Déclaration des droits. C’était un moyen de calmer l’effervescence des esprits. Le Roi, informé de cette demande, se retira dans une autre pièce pour délibérer avec son conseil. Mais il était cruel à la Royauté de sanctionner les principes de la Révolution : et même dans le désordre et le péril croissant de cette journée d’octobre elle résistait. Mounier, dévoré d’impatience, attendit la réponse de cinq heures et demie à dix heures du soir.

Et pendant que le Roi délibérait ainsi, le sang commençait à couler dans les avenues de Versailles. Le régiment de Flandre, formé en bataille, avait été rapidement enveloppé par les femmes. Les soldats protestèrent de leur dévouement à la nation ; mais il y eut une bagarre entre les femmes et un détachement des gardes du corps commandé par le comte de Guiche. Quelques femmes furent blessées de coups d’épée. Les volontaires de la Bastille firent feu sur les gardes du corps et en abattirent plusieurs.

A ce moment le Roi fit appeler Mounier et prononça, après cinq heures d’hésitations, l’acceptation pure et simple. « Je le suppliai, raconte Mounier, de me la donner par écrit. Il l’écrivit et la remit dans mes mains. Il avait entendu les coups de feu. Qu’on juge de son émotion, qu’on juge de la mienne. Le cœur déchiré, je sortis pour retourner à mes fonctions. »

Ainsi comme si le droit du peuple souffrant devait être inscrit dans les titres les plus solennels de la Révolution bourgeoise, c’est sous la pression des pauvres femmes de Paris demandant du pain, que la Déclaration des droits de l’homme est sanctionnée. Ce sont des mains ouvrières qui remettent à l’humanité nouvelle son titre glorieux.

Durant l’absence du président Mounier, la foule avait peu à peu envahi l’Assemblée. Elle s’était mêlée aux délibérations et demandait à grands cris que l’Assemblée fit une loi pour diminuer le prix du pain, de la viande et des chandelles. L’Assemblée, comme submergée par le flot populaire, s’était dispersée : la séance était levée de fait ; et comme, par un effet encore bien enfantin de la souveraineté populaire, une femme dont on ne dit pas le nom, avait pris possession du fauteuil présidentiel. Il y eut ainsi une minute où, le roi assiégé dans le château, l’Assemblée dispersée, la force populaire semblait demeurer seule. Mais à quoi servirait d’occuper le pouvoir si on n’y portait une idée ? De bonne grâce, la femme qui s’était assise au fauteuil, le rendit à Mounier ; le tambour passa dans les rues de Versailles pour appeler de nouveau les députés, et en attendant la reprise de la séance, les femmes, groupées autour de Mounier, l’admonestaient en paroles à la fois maternelles et rudes. Aucune obstination de colère n’était en elles ; c’est Mounier lui-même qui le constate : « Les femmes qui m’environnaient conversaient avec