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HISTOIRE SOCIALISTE

« La volonté arbitraire du despote est une menace pour la liberté des sujets comme un nuage errant sur l’horizon. »

Mais il avait d’habitude plus de constance dans l’action que d’étendue dans les vues. Il blâmait les hommes du côté droit ou les modérés comme Mounier qui, pris de frayeur ou de dégoût, désertaient leur poste. Il aurait voulu les retenir et faire une sorte de concentration des modérés de droite et de gauche ; il essaiera bientôt de fonder le Club des Impartiaux. Il aurait volontiers limité la Révolution à un redressement de la comptabilité monarchique et à l’institution d’un contrôle national des finances. Mais il manquait d’adresse à manier les hommes : il se laissa aller contre Mirabeau à ses préventions d’administrateur correct, il ne vit pas à temps quelle immense force organique était dans cet homme. D’ailleurs, à quoi pouvait-il aboutir ?

Il n’y aurait eu qu’un moyen de tempérer la Révolution : c’eût été d’y gagner le Roi.

Il ne semble pas que Malouet ait compris la nécessité d’agir sur la Cour : en tout cas il n’eut jamais d’action sur elle. Sa résistance au mouvement fut donc à la fois obstinée et vaine. Mais du moins ne livra-t-il point sa vie aux inspirations de la vanité blessée.

La gauche de la Constituante, en son immense majorité, n’avait aucun parti-pris de violence et d’outrance. On peut même dire qu’en dehors de quelques principes très généraux elle était étrangère à l’esprit de système. Elle avait lu Jean-Jacques : elle l’admirait et souffrait qu’on le glorifiât devant elle.

Dès les premières séances, Salle parle de Rousseau comme du plus grand philosophe du siècle.

Crenière, dans la question du veto, se réclame du Contrat social et en tire des conclusions quasi anarchistes. Tout individu, selon lui, doit avoir le droit de veto : il peut désobéir aux lois qu’il n’a pas lui-même consenties. Mais non seulement la Constituante n’allait pas à ces conséquences extrêmes et paradoxales : elle se gardait même de l’entière démocratie comme d’une chimère et d’un danger. En revanche, pour assurer la souveraineté de la Nation et la primauté de la bourgeoisie la gauche de l’Assemblée était prête à tout, et la Cour, par sa résistance coupable et folle, pouvait la mener très loin. En des hommes comme Chapelier, Thouret, Rabaut Saint-Étienne la haine de l’ancien régime, de l’arbitraire ministériel, de l’insolence aristocratique, de l’oppression féodale, de l’intolérance religieuse était décisive. Ils n’hésiteront pas, pour sauver la Révolution et lui donner un budget, à exproprier l’Église et à désarmer le pouvoir exécutif royal. Inclinant à une Révolution modérée ils sont prêts, s’il le faut, à une Révolution violente.

Mais ils sont prêts aussi à refouler le mouvement, s’il menace un moment la primauté politique et la propriété de la bourgeoisie. Ils ne sont pas