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HISTOIRE SOCIALISTE


Le débat, très court d’ailleurs, ne porta plus que sur la forme qu’aurait le cens. Le côté droit, ceux qu’on pourrait appeler les agrariens, voulaient faire de la propriété foncière la base du droit politique. Le rapporteur Demeunier s’y opposa :

« L’amendement, dit-il, qui exige une propriété territoriale, n’est conforme ni à l’esprit de vos précédents décrets ni à la justice. Les Anglais suivent à la vérité cet usage, mais eux-mêmes s’en plaignent. Le Comité pense avoir fait tout ce qu’il fallait faire en demandant une contribution d’un marc d’argent. Cette imposition indique assez d’aisance pour que la malignité ne suppose pas que les législateurs sont plus ou moins susceptibles de corruption. »

Mais la droite avait un grand intérêt à insister sur la propriété territoriale : elle aurait écarté ainsi tous ces bourgeois peu fortunés des villes, tous ces légistes, tous ces hommes d’affaires, tous ces commerçants qui pouvaient bien payer 50 livres d’impôt à raison de leur revenu, mais qui n’avaient point de capitaux disponibles pour acquérir des immeubles ruraux de quelque valeur.

La bourgeoisie révolutionnaire des villes aurait été, pour une bonne part, éliminée et l’influence conservatrice des propriétaires terriens, des nobles, des bourgeois propriétaires de rentes foncières aurait été accrue d’autant : Casalès intervient et pose le débat très nettement entre les propriétaires fonciers et ceux qu’on appelait déjà, dans les livres, les journaux et à la tribune, « les capitalistes ».

« En dernière analyse, s’écria-t-il, tous les impôts portant sur les propriétaires des terres, serait-il juste d’appeler ceux qui ne possèdent rien à fixer ce que doivent payer ceux qui possèdent ?

« Le négociant est citoyen du monde entier et peut transporter sa propriété partout où il trouve la paix et le bonheur. Le propriétaire est attaché à la glèbe ; il ne peut vivre que là, il doit donc posséder tous les moyens de soutenir, de défendre et de rendre heureuse cette existence. Je demande, d’après ces réflexions, que l’on exige une propriété foncière de 1200 livres de revenu. »

Déjà la propriété foncière accusait de cosmopolitisme la propriété mobilière. Nous retrouverons tout au long du siècle cette querelle. Barère de Vieuzac répondit à Casalès, et en même temps au Comité. Déjà, selon la souple méthode qui fera sa fortune politique, il propose une solution intermédiaire :

« Rien ne serait plus impolitique, dit-il, que le décret par lequel on vous propose d’exiger une propriété de 1200 livres de revenu pour être éligible : ce serait accréditer ces calomnies absurdes qu’on sème de toute part contre vous, en disant que vous cherchez à établir une aristocratie nouvelle sur les débris de toutes les autres.