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HISTOIRE SOCIALISTE

et elle essaiera de représenter tous les mouvements révolutionnaires, dans l’ordre de la pensée et de l’action, comme une secrète machination des juifs cherchant à tout dissoudre pour tout absorber. Elle essaiera aussi de faire peur à la bourgeoisie dirigeante en lui montrant que tous les coups portés à l’Église atteindront un jour le capital.

Toute cette savante rouerie cléricale est dans le discours de l’abbé Maury, aussi je tiens à en citer de très longs et décisifs fragments, car il faut que le peuple voie bien que si, en 1789 et 1790, il s’était laissé duper par la manœuvre antisémite de l’Église, l’ancien régime clérical subsisterait encore dans son entier. Écoutez donc le démagogue de l’Église ameutant le peuple contre les capitalistes, contre l’agio, contre la Bourse, afin de sauver les milliards bonnes et grasses terres possédées par des milliers de moines fainéants. On croirait entendre Mores et l’abbé Garnier.

« Que l’on ne nous propose donc pas si légèrement, Messieurs, de sacrifier la prospérité des campagnes à ce gouffre dévorant de la capitale, qui engloutit déjà la plus riche portion de notre revenu territorial. Dans cette cité superbe, vous le savez, résident les plus grands propriétaires du royaume et une multitude de capitalistes citoyens qui ont fidèlement déposé dans le Trésor de l’État le fruit d’un honnête travail et d’une sévère économie. Si tous les créanciers du royaume avaient des titres si légitimes, la nation n’aurait point à se plaindre des extorsions de la capitale, et les provinces ne reprocheraient point la ruine de l’État aux usuriers de Paris.

« Mais ne confondons point des capitalistes irréprochables avec les avides agioteurs de la Bourse. Là, se rassemble de toutes les extrémités du royaume et de toutes les contrées de l’Europe une armée de prêteurs, de spéculateurs, d’intrigants en finance, toujours en activité entre le Trésor royal et la nation pour arrêter la circulation du numéraire par l’extension illimitée des effets publics. Là, un commerce fondé sur l’usure décourage et appauvrit le vrai commerce national, l’industrie productive du royaume, et condamne l’administration à l’inertie, tantôt en l’affaissant sous le poids des besoins, tantôt en déplaçant son activité.

« Écoutez ces marchands de crédit qui trafiquent du destin de l’État, à la hausse ou à la baisse. Ils ne demandent pas si la récolte est abondante, si le pauvre peuple peut élever le salaire de ses travaux à la hauteur du prix commun du pain, si les propriétaires dispersés dans les provinces les vivifient par leurs dépenses ou leurs libéralités. Non, ce n’est point là ce qui les intéresse. Ils s’informent uniquement de l’état de la Bourse et de la valeur des effets. Voilà pour eux l’unique thermomètre de la prospérité générale. Ils ne savent pas que l’opulence de la capitale se mesure toujours sur la misère des provinces, et que ce n’est point dans des portefeuilles arides que consiste la richesse nationale, mais que c’est dans les sillons creusés de ses sueurs que le laboureur fait germer la force de l’État,