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HISTOIRE SOCIALISTE


« Je m’étonne d’avoir entendu rapporter avec tant de confiance au milieu de cette assemblée ces expression : nos adversaires, nos biens. Je m’étonne d’avoir vu quelques-uns de nos collègues se réunir, faire cause commune, se défendre comme un particulier indépendant de nous qui serait traduit à notre tribunal, et je sens combien il est important de détruire toutes ces idées de corps et d’ordre qui renaissent sans cesse… Le clergé offre des dons, mais de quel droit ? mais à quel titre ?

« Il les prendra sur le patrimoine du Culte, sur le patrimoine des pauvres…

« Redoutez ce piège : il veut sortir de sa cendre pour se reconstituer en ordre : ces dons sont plus dangereux que notre détresse.

« On nous parle des pauvres : mais ne dirait-on pas qu’ils sont une caste dans l’État comme le clergé ?

« Doit-on laisser le soin de leur subsistance aux ecclésiastiques ? Qui peut en bénéficier ? Une stérile et dangereuse charité, propre à entretenir l’oisiveté.

« La Nation, au contraire, établira dans ces maisons de prière et de repos des ateliers utiles à l’État, où l’infortuné trouvera la subsistance avec le travail… Il n’y aura plus de pauvres que ceux qui voudront l’être. »

Ainsi, la propriété ecclésiastique doit disparaître parce qu’elle est une propriété corporative ; il est faux de dire, comme le répètent si souvent aujourd’hui les économistes bourgeois, que la Révolution fut exclusivement individualiste ; elle fut à la fois individualiste et étatiste, et elle accroissait d’autant plus les fonctions de l’État qu’entre l’individu et l’État elle ne voulait laisser subsister aucun corps, aucune corporation d’aucune sorte. Cette parole de Chapelier : « Il n’y aura de pauvres que ceux qui voudront l’être, » constitue la Révolution débitrice d’une dette immense ; en même temps qu’elle investit l’État d’une puissance très étendue.

Du discours de Mirabeau, qui parla le dernier en faveur du projet, je ne retiens que deux points, c’est d’abord l’affirmation de la toute puissance de la loi :

« Après avoir prouvé, Messieurs, que la Nation a le droit d’établir ou de ne pas établir des corps ; que c’est encore à elle à décider si ces corps doivent être propriétaires ou ne pas l’être, je dis que, partout où de pareils corps existent, la Nation a le droit de les détruire, comme elle a celui de les établir, et je demande encore qu’on admette ou que l’on nie ce principe.

« Je dirai, à ceux qui voudraient le contester, qu’il n’est aucun acte législatif qu’une Nation ne puisse révoquer ; qu’elle peut changer, quand il lui plaît, ses lois, sa constitution, son organisation et son mécanisme ; la même puissance qui a créé peut détruire, et tout ce qui n’est que l’effet d’une volonté générale doit cesser dès que cette volonté vient à changer… »