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HISTOIRE SOCIALISTE

C’est donc au scrutin municipal, c’est-à-dire à l’élection directe par tous les citoyens actifs rassemblés qu’il semblait logique de recourir. L’Assemblée constituante n’osa pas : elle pensa sans doute que le corps électoral choisi par les assemblées primaires procéderait avec plus de gravité. Il y eut même un instant où le rapporteur Martineau parut consentir à ce que l’élection des évêques fût faite par les curés et par les membres du corps administratif de département. Une intervention vigoureuse de Robespierre fit maintenir les conclusions premières du rapport, c’est-à-dire l’élection par le peuple.

Il faut observer en outre que, pour les conditions d’éligibilité pour les évêques et les curés, la Constituante se montra respectueuse de la tradition catholique. Elle ne donna pas au peuple le droit de nommer tout d’abord évêque qui il voulait.

Pour être nommé évêque, c’est-à-dire pour recevoir le droit de faire de nouveaux prêtres, il fallait déjà être curé, c’est-à-dire avoir été ordonné prêtre par des évêques institués selon l’ancien mode. Malgré la fiction extraordinaire de Talleyrand, malgré les illusions extraordinaires des jansénistes qui considéraient la nation française de la fin du xviiie siècle comme l’Assemblée des fidèles, comme l’Église, dépositaire de l’esprit et de la volonté de Dieu, la Constituante n’osa pas faire jaillir directement du sol révolutionnaire des sources nouvelles de sacerdoce et par là la Constitution civile du clergé se distingua essentiellement de la Réforme du xvie siècle.

Bien des détails de la Constitution civile du clergé nous semblent bizarres et bien des historiens ont dit qu’elle a échoué misérablement. C’est inexact : d’abord elle a duré sous sa forme propre jusqu’au 21 février 1795, c’est-à-dire pendant quatre années, et elle fut, au moins pendant trois ans, réellement pratiquée : les électeurs chargés de nommer curés et évêques prenaient leurs fonctions au sérieux, assistaient sans mauvaise grâce (même les plus libres penseurs) aux cérémonies religieuses qui faisaient partie de la procédure électorale, et bien loin de croire qu’ils se compromettaient ainsi avec l’Église, ils croyaient faire acte de bons révolutionnaires.

Mais surtout la Constitution civile s’est survécue à elle-même, abâtardie, il est vrai, et abaissée, dans le Concordat. Du Concordat à la Constitution civile il y a deux grandes différences : c’est d’abord que par le Concordat l’intervention du pape a été rétablie.

Tandis que la Révolution ne connaissait point de pape et affirmait tranquillement la souveraineté du suffrage populaire aussi bien pour la nomination des magistrats d’Église que pour celle des autres magistrats de la nation, le Concordat était le résultat d’une négociation avec le pape et il lui restituait le droit d’institution canonique suprême.

Et l’autre différence c’est que, dans le régime du Concordat, la désignation des évêques et des curés est faite par le pouvoir exécutif et non par le suffrage populaire.