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HISTOIRE SOCIALISTE

France, le catholicisme était si étroitement mêlé à la vie nationale et privée qu’il en semblait inséparable. Qu’on se figure bien que le roi, jugé par eux nécessaire, avait été sacré par l’Église ; que toute leur vie personnelle et domestique reposait sur une base catholique, que l’Église seule tenait les registres des naissances, des mariages, des décès, et que sauf les rares fêtes données à l’avènement des rois, il n’y avait d’autres fêtes, d’autres cérémonies que celles où l’Église déployait la magnificence du culte.

Qu’on se souvienne que la royauté persécutrice avait eu pour complices les passions religieuses du peuple, que le fanatisme populaire avait même au temps de la Ligue, entraîné le pouvoir royal ; et que depuis, c’est aux applaudissements de la multitude catholique que les protestants avaient été persécutés.

Qu’on se souvienne encore, que dans le mouvement révolutionnaire même, une partie du clergé, sans renoncer en rien à l’intolérance systématique de l’Église, avait pris parti pour le peuple contre les nobles et contre l’impôt ; et qu’ainsi, jusque dans son origine, jusque dans la rédaction des cahiers, la Révolution semblait mêlée d’un peu d’Église.

Qu’on note les innombrables mouvements du peuple se portant aux Églises pendant les premières années de la Révolution, pour associer la religion aux grands événements nationaux ; que l’on sache que le plus populaire des prédicateurs, l’abbé Fauchet, faisait publiquement profession d’intolérance, et demandait que les protestants fussent exclus des emplois publics et des assemblées législatives, sans que ce monstrueux fanatisme coûtât rien à sa popularité parmi les ouvriers des quartiers pauvres.

Qu’on prenne garde que, dès 1790, la contre-révolution commençait à provoquer dans les pays mêlés de catholiques et de protestants, des mouvements fanatiques et qu’à Montauban, comme dans le Gard, la vie des patriotes fut en péril.

Qu’on se souvienne enfin, qu’après la fuite de Varennes, pour bien montrer au peuple que rien de la vie nationale n’était perdu par le départ ou la suspension du roi, et qu’il n’y avait pour ainsi dire aucun vide où le destin de la patrie pût s’abîmer, l’Assemblée nationale dut prendre part toute entière à la procession de la Fête-Dieu, dans le quartier du roi et à la place habituellement occupée par lui ; on comprendra qu’il était un peu plus malaisé à la Constituante d’appliquer la séparation comtiste du spirituel et du temporel que ne l’imagine M. Robinet, que sa qualité de positiviste a voué naturellement à la chimère.

Ou bien cette séparation de l’Église et de l’État, se serait accomplie avec une déférence toute comtiste pour le pouvoir spirituel ; et l’Église absolument libre de son action, pouvant acquérir à son aise et prêcher à sa volonté, aurait profité de cet énorme pouvoir pour tourner contre la Révolution