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HISTOIRE SOCIALISTE

obtenu un certain nombre de garanties. Peut-être, par des combinaisons analogues à celles que propose Marat, auraient-ils été associés, pour une part assez notable, à la propriété capitaliste que la Révolution allait si largement développer.

En tout cas, il est infiniment probable que le droit de coalition et de grève que la Constituante va détruire brutalement tout à l’heure, aurait été conquis d’assez bonne heure et que le peuple ouvrier n’aurait pas attendu un siècle pour en avoir le bénéfice légal. Or, on peut se demander si cette organisation de la force ouvrière, à un moment où le capitalisme n’avait pas encore toute sa puissance, aurait été conciliable avec le développement capitaliste, le progrès de la production et de la richesse. Je n’hésite pas pour ma part, à répondre nettement : oui. Je crois que le système capitaliste est infiniment plus souple que ne le disent beaucoup de socialistes : et je crois qu’il se fût accommodé, dès 1789, de la pleine liberté et de la démocratie. Marx constate qu’en dehors de ce qui est le profit normal, essentiel du capital, c’est-à-dire le surtravail non payé de l’ouvrier, le capitalisme s’est procuré d’innombrables profits accessoires.

Il a triché, fraudé ; il n’a pas même payé aux ouvriers ce qui était convenu : il a allongé sournoisement la journée de travail. Il a porté l’exploitation de la force ouvrière au delà même de ce que lui commandaient ses intérêts essentiels et la loi de sa croissance. Il n’a même pas payé en certaines périodes le salaire strictement nécessaire à l’entretien de la force de travail : il a gâché de la substance humaine. Il a exténué et abruti l’enfance ouvrière, bien au delà des nécessités intrinsèques du système et même contre l’intérêt du capitalisme lui-même.

Un régime de démocratie, de suffrage universel, de souveraineté populaire, aurait permis au salarié de se garantir contre cet excès d’exploitation : il aurait peut-être permis de réaliser en quelque point un système de production semi-capitaliste, semi-ouvrier. Il aurait donné aux travailleurs plus de force physique et intellectuelle, sans compromettre l’évolution capitaliste ; et l’avènement régulier du prolétariat, l’installation progressive et pacifique du socialisme auraient été singulièrement facilités. Oh ! gardons-nous de croire que le développement antagonique des classes est un mécanisme rigide et que rien ne peut modifier. Gardons-nous de croire qu’il est indifférent au prolétariat que le capitalisme se développe sous un régime de démocratie ou sous un régime d’oligarchie ou de despotisme ! Non : il n’est pas vrai que la Révolution n’ait pas été entamée et abaissée par le despotisme militaire de l’Empire, par les velléités contre-révolutionnaires de la Restauration, par le régime censitaire de Louis-Philippe.

Oui, la propriété bourgeoise et capitaliste, libérée par la Révolution des entraves féodales et corporatives s’est développée sous tous les régimes, et il ne dépendait d’aucune réaction d’arrêter ou de refouler ce mouvement. Oui,