Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
607
HISTOIRE SOCIALISTE

naire contre les expropriés à partir de la fin du quinzième siècle, lois sur les salaires ». La loi du 14 juin, édictée par la bourgeoisie révolutionnaire française lui apparaît comme l’équivalent de ces statuts anglais qui adjugeaient comme esclave l’ouvrier réfractaire au travail et qui imposaient un maximum de salaire. La coalition ouvrière, remarque-t-il, ainsi dénoncée comme attentatoires aux droits de l’homme devient une félonie, un crime contre l’État, staats-verbrechen, comme dans les anciens statuts. »

« Dès le début de la tourmente révolutionnaire, écrit-il, la bourgeoisie française osa dépouiller la classe ouvrière du droit d’association que celle-ci venait à peine de conquérir. Par une loi organique du 14 juin 1791, tout concert entre les travailleurs pour la défense de leurs libertés fut stigmatisé « d’attentat contre la liberté et la déclaration des droits de l’homme » ; punissable d’une amende de 500 livres, jointe à la privation pendant un an des droits de citoyen actif. Ce décret qui à l’aide du Code pénal et de la police trace à la concurrence entre le capital et le travail des limites agréables aux capitalistes, a survécu aux révolutions et aux changements de dynasties. Le régime de la Terreur lui-même n’y a pas touché. Ce n’est que tout récemment qu’il a été effacé du Code pénal ; et encore avec quel luxe de ménagements ! Rien qui caractérise le coup d’État bourgeois comme le prétexte allégué. Le rapporteur de la loi, Chapelier, que Camille Desmoulins qualifie « d’ergoteur misérable » veut bien avouer « que le salaire de la journée de travail devrait être un peu plus considérable qu’il ne l’est à présent… car dans une nation libre les salaires doivent être assez considérables pour que celui qui les reçoit soit hors de cette dépendance absolue que produit la privation des besoins de première nécessité et qui est presque de l’esclavage. » Néanmoins il est, d’après lui, instant de prévenir ce désordre », savoir « les coalitions que forment les ouvriers pour augmenter le prix de la journée de travail », et pour mitiger cette dépendance absolue qui est presque de l’esclavage il faut absolument les réprimer, et pourquoi ? Parce que les ouvriers portent ainsi atteinte à « la liberté des entrepreneurs de travaux, les ci-devant maîtres », et qu’en empiétant sur le despotisme de ces ci-devant maîtres de corporation — on ne l’aurait jamais deviné — ils « cherchent à recréer les corporations anéanties par la Révolution. »

La bourgeoisie révolutionnaire a-t-elle eu vraiment, à ce point, conscience du coup qu’elle portait au prolétariat et de l’avantage qu’elle s’assurait dans les luttes économiques ? Ce ne sont pas les débats suscités par la loi qui peuvent nous éclairer. Pas un mot n’a été dit à la tribune pour demander des explications à Chapelier ou pour combattre la loi. Des murmures (que Marx ne note pas) se firent entendre seulement, quand Chapelier constata que l’insuffisance des salaires était une sorte d’esclavage. Un membre demanda de sa place que les Chambres de commerce ne fussent pas comprises dans l’interdiction. Cela fut accordé sans discussion, mais, chose curieuse, le texte