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HISTOIRE SOCIALISTE

affamés de distinctions, de trésors, de voluptés. L’intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l’humanité : c’est l’intérêt général ; l’intérêt, le vœu des riches, des hommes puissants est celui de l’ambition, de la cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société… Aussi qui a fait notre glorieuse Révolution ? Sont-ce les riches, sont-ce les hommes puissants ? Le peuple seul pouvait la désirer et la faire ; par la même raison le peuple seul peut la soutenir. »

Et il concluait en demandant des armes pour tous les citoyens domiciliés. Est-il vraisemblable que l’homme qui tenait ce langage le 27 et le 28 avril ait gardé le silence au 14 juin pour ménager aux dépens du peuple ouvrier, les intérêts de classe de la bourgeoisie ? Je sais bien que les démocrates, hardis dans l’ordre politique, sont souvent timorés et réactionnaires dans l’ordre économique.

Mais, même au point de vue économique, il était plus hardi de donner des armes à tous les citoyens que de laisser les ouvriers se coaliser pour obtenir une augmentation de salaires. Blanqui a dit : « Qui a du fer a du pain », et la bourgeoisie possédante s’effraie plus de l’armement général du peuple que du droit de coalition. La preuve c’est que le prolétariat a pu, après un siècle de luttes, conquérir le droit de grève : il n’a pas pu conquérir le droit d’être armé.

Il me paraît donc impossible que l’homme qui, en 1791, voulait armer tous les citoyens, les pauvres comme les riches et donner à tous les citoyens, aux pauvres comme aux riches le droit de vote et le fusil, se fût associé à une manœuvre bourgeoise contre le salaire des ouvriers s’il en avait saisi le sens. Il avait précisément livré bataille le 9 et le 10 mai, en faveur du droit de pétition collective. Chapelier au nom du comité de constitution demanda à l’Assemblée de ne permettre que les pétitions individuelles. Toute manifestation collective des assemblées populaires devait être interdite. Robespierre protesta violemment : « Ce n’est point pour exciter le peuple à la révolte que je parle à cette tribune, c’est pour défendre les droits des citoyens… Je défendrai surtout les plus pauvres. Plus un homme est faible et malheureux, plus il a besoin du droit de pétition. »

Le lendemain il prit de nouveau la parole pour répondre à Beaumetz. Robespierre, dit Hamel d’après le Courrier de Provence, tenta d’incroyables efforts pour arrêter l’Assemblée dans sa marche rétrograde. Ses paroles sévères et touchantes à la fois, retentissaient comme un écho des vérités éternelles… »

« Elles devaient nécessairement irriter quelques membres. Impatienté des interruptions de Martineau, l’orateur somma le président d’empêcher qu’on ne l’insultât lorsqu’il défendait les droits les plus sacrés des citoyens.

« D’André qui présidait ayant demandé s’il ne faisait pas tous ses efforts — Non, lui cria brusquement une voix de la gauche. — Que la personne qui