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HISTOIRE SOCIALISTE

tique ridicule et imprudente des princes, du prince de Condé, du comte d’Artois.

La reine, qui haïssait le frère du Roi et qui redoutait comme la suprême déchéance et le suprême péril d’être sauvé par eux, était pleine d’amertume contre Mme Élisabeth. Et le roi, en toutes ses perplexités n’avait qu’une pensée fixe : éviter de s’engager à fond dans une politique irrévocable. Depuis longtemps, depuis les premiers jours de la Révolution l’idée d’une fuite, d’une évasion le tentait : il lui semblait que, loin de Paris et à la tête de quelques régiments fidèles, il pourrait grouper toutes les forces royalistes et contre-révolutionnaires et faire la loi à l’Assemblée. Mais les risques de l’entreprise étaient grands ; et il retombait en ses rêveries hésitantes.

Le peuple avait l’instinct que le Roi cherchait à fuir : et il redoutait cette fuite comme un péril immense. Il paraît étrange et même contradictoire que les révolutionnaires aient redouté à ce point le départ d’un Roi peu ami de la Révolution. Le peuple pourtant avait raison.

Il n’y avait pas à cette date de parti républicain, d’opinion républicaine : nul ne savait par quelle autorité aurait été remplacée l’autorité royale : et la fuite du roi semblait creuser un vide immense. De plus et surtout le peuple sentait bien qu’il y avait d’innombrables forces de réaction disséminées, encore à demi-latentes qui n’attendaient qu’un signal éclatant pour apparaître, qu’un centre de ralliement pour agir.

Le Roi parlant haut de la frontière, dénonçant la guerre faite à l’Église, effrayant la partie timide de la bourgeoisie, lui faisant peur pour ses propriétés, grossissant son armée de contingents étrangers et les couvrant du pavillon de la monarchie, pouvait être redoutable. Aussi le peuple montait bonne garde autour des maisons royales et même princières. Mesdames tantes de Louis XVI, annoncent en février qu’elles partent pour Rome. Les révolutionnaires voient dans ce voyage le commencement d’un plan de contre-révolution : il fallut une escorte de trente dragons pour que Mesdames pussent continuer leur voyage. Un jour aussi le peuple entoure la voiture de Monsieur et la ramène de force au Luxembourg.

Le 28 février le peuple du faubourg Saint-Antoine croit que des préparatifs militaires se faisaient au donjon de Vincennes ; il y court et le démolit. La Fayette se hâte pour réprimer le soulèvement. Mais il arrive trop tard, et son état-major essuie quelques coups de feu des révolutionnaires du faubourg. En même temps le bruit courait dans Paris que les Tuileries allaient subir un assaut comme le donjon de Vincennes. La Cour elle-même, sérieusement effrayée, ou simulant la terreur, répand l’alarme et appelle ses affiliés. Trois à quatre cents gentilshommes armés s’établirent aux Tuileries.

La Fayette, résolu à frapper à la fois à droite et à gauche, à contenir le mouvement populaire et à réprimer les complots aristocrates, accourt aux Tuileries, somme les gentilshommes de rendre leurs armes et les fait briser