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HISTOIRE SOCIALISTE

laissons aller à Saint-Cloud. Le traître Berthier à la tête des chasseurs de Lorraine, du régiment de Flandre, des maréchaussées de tous les départements de l’entour, égorgera la garde parisienne et les enlèvera de force ; comme il a enlevé de Bellevue les voitures des béguines (les tantes du roi).

« Citoyens, je vous le répète, c’en est fait de la liberté, c’en est fait de la Patrie, si nous souffrons que la famille royale aille à Saint-Cloud, si elle quitte les Tuileries. »

Dans l’imagination de Marat se mêlaient et s’ajoutaient l’un à l’autre, pour aboutir à un extraordinaire effet d’horreur, le plan de Mirabeau qui excluait le concours de l’étranger et faisait appel à la municipalité parisienne, le plan de la Cour qui excluait la municipalité et Lafayette, et faisait appel à l’étranger. De plus, il s’exagérait la tendance de l’étranger à servir dès ce moment le Roi de France par une intervention armée. Mais malgré tout, ce sont comme des traits de flamme qui percent la nuit de mensonge et de trahison où s’enveloppait la Cour.

Mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est un passage peu remarqué, je crois, de son numéro du 26 mars : « Avis de la dernière importance : je suis informé par plusieurs personnes très-sûres, qui approchent journellement le Roi, qu’il n’a pas été indisposé une heure depuis le 28 février ; que sa prétendue maladie est une imposture de ses ministres qu’ont accréditée ses médecins et chirurgiens, tous dans le secret, qu’elle n’a pour objet que d’alarmer les Français sur les jours du prince, de les pousser à des actes d’idolâtrie, et de donner aux conjurés les facilités de tramer de nouvelles conspirations dans son cabinet ; que le jour où les députés de l’Assemblée n’ont pas été reçus, les appartements étaient remplis des membres du club monarchique, et des courtisans les plus dévoués.

« Enfin, que le Roi parait content, que jamais si femme n’a été plus gaie, que l’on parlait il y a huit jours, d’un voyage à Compiègne, sans doute pour faire une fugue à Bruxelles, et qu’aujourd’hui on parle d’aller à Saint-Cloud d’où il sera presque aussi facile de l’exécuter au moyen des manœuvres du fidèle Berthier, commandant de la garde de Versailles. »

Marat ne soupçonne pas le vrai plan de fuite, il s’imagine que le Roi se fera escorter par des troupes presque au sortir de Paris ; il ne se figure pas que Louis XVI s’enfuira incognito jusqu’à la frontière et il ne se doute pas, à ce moment, que c’est avec Bouillé que la combinaison se prépare. Mais il a su que les projets de départ se précisaient à la fin de mars et qu’une animation joyeuse inaccoutumée se marquait au visage du Roi et de la Reine.

Or il résulte d’une lettre du comte de Fersen du 1er avril 1791, et d’un mémoire du même du 27 mars que précisément à la fin de mars le Roi et la Reine venaient enfin de prendre la décision ferme de partir. Et c’est la joie d’une résolution enfin arrêtée qui se lisait sur le visage royal.