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HISTOIRE SOCIALISTE

conduite par les princes, c’est-à-dire par lui-même. Il déconseillait donc très vivement le départ de Louis XVI.

Sa présence à la tête des troupes de la contre-révolution aurait relégué les princes dans l’ombre, et les émigrés, toujours infatués, redoutaient que le roi, même à la tête d’une armée de nobles et d’étrangers, transigeât encore avec la Révolution. Que Louis XVI, à ses risques et périls, reste donc aux Tuileries ; s’il est tué par les révolutionnaires, si les premiers mouvements de l’armée d’invasion soulèvent le peuple contre le roi et la reine, ce « forfait » aura un double avantage. Il animera encore contre la France révolutionnaire la colère des souverains, peut-être même l’ignorante pitié des peuples, et il débarrassera la monarchie d’un chef hésitant et faible.

De Breteuil, au contraire, voulait avant tout le salut du roi et de la reine et le rétablissement de l’autorité monarchique par eux et pour eux, non par les princes et pour les princes. La communication faite par le comte de Fersen, au nom de la reine, au baron de Breteuil est donc comme le sceau aux résolutions prises.

… « Le roi pense comme vous sur les conclusions à tirer des différentes lettres de M. de Merciy et il est convaincu que son départ de Paris est au préalable nécessaire, sans lequel aucune personne ne voudra s’engager à se mêler de ses affaires et à le secourir ; mais S. M. n’a pas lieu d’être aussi convaincue que vous paraissez l’être des dispositions actives de l’empereur à son égard ; ce que ce prince a dit à M. de Bombelles et qui est même revenu au roi, qu’il a dû dire à d’autres personnes, ne s’accorde nullement avec ce qu’il a mandé lui-même à la reine.

« Après beaucoup de protestations d’amitié, d’intérêt et de sensibilité sur la position de LL. MM., l’empereur dit clairement que les embarras où il se trouve et ceux que ses voisins pouvaient peut-être encore lui susciter, l’empêcheraient de favoriser en ce moment et d’une manière active les projets du roi pour le rétablissement de son autorité. Il exhorte à la patience et à remettre à une époque plus éloignée l’exécution du plan que le roi lui a communiqué.

« Cette différence de langage ne peut selon moi être attribuée qu’au penchant naturel de l’empereur pour la paix, à la crainte qu’il a d’en compromettre la durée par une démarche un peu prononcée en faveur du roi, à l’indécision de son caractère, et à l’embarras qu’il éprouve de donner une réponse positive de ce genre aux personnes qui lui prouvent combien la position du roi est affreuse et combien la cause de S. M. étant celle de tous les souverains, doit être protégée par eux…

« Le roi est toujours décidé à partir dans les quinze derniers jours de mai ; Sa Majesté en sent la nécessité et espère avoir reçu, vers cette époque, les réponses d’Espagne et avoir rassemblé l’argent nécessaire pour subvenir aux dépenses du premier moment…