Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/700

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
690
HISTOIRE SOCIALISTE

en dépendent. Si la démocratie n’est pas arrêtée dans ses pas aussi précipités qu’effroyables, aucun trône ne peut plus reposer sur des bases solides… »

C’est l’appel à l’or de l’étranger comme à sa force militaire. Et de plus, de Breteuil esquisse une double combinaison : d’abord la fuite du roi venant prendre le commandement des troupes autrichiennes, croates, sardes ; ou, si l’évasion du roi est impossible, un manifeste menaçant des puissances, suivi d’une intervention armée. Léopold, hésitant encore, se dérobait, et ce qui l’y aidait, c’est la dualité de l’intrigue contre-révolutionnaire. Le 3 mai, M. de Breteuil, par l’intermédiaire de M. de Bombelles, remettait à l’Empereur le mémoire que j’ai cité, concluant avant tout au départ du roi. Le 20 mai, à Mantoue, le comte d’Artois avait avec Léopold une conversation dont les conclusions sont fixées dans la fameuse note reproduite par Bertrand de Molleville.

Or, cette note, qui promettait une intervention de trente-cinq mille hommes à la frontière de Flandre et de quinze mille hommes à la frontière de Dauphiné et qui annonçait pour la fin de juillet une protestation collective de la maison de Bourbon, déconseillait nettement la fuite.

« Quoique l’on ait désiré jusqu’à présent que Leurs Majestés pussent elles-mêmes se procurer leur liberté, la situation présente engage à les supplier très instamment de n’y plus songer. Leur position est bien différente de ce qu’elle était avant le 18 avril, avant que le roi eût été forcé d’aller à l’Assemblée et de faire écrire la lettre aux ambassadeurs.

« L’unique objet dont Leurs Majestés doivent s’occuper est d’employer tous les moyens possibles à augmenter leur popularité, pour en tirer parti quand le moment sera venu, et de manière que le peuple, effrayé à l’approche des armées étrangères, ne voie son salut que dans la médiation du roi et dans sa soumission à l’autorité de Sa Majesté : telle est l’opinion de l’Empereur. Il attache uniquement à ce plan de conduite le succès des mesures qu’il a adoptées, et il demande surtout qu’on éloigne toute autre idée. Ce qui arriverait à Leurs Majestés si, dans leur fuite, elles ne pouvaient échapper à la surveillance barbare les fait frémir d’horreur. Sa Majesté croit que la sauvegarde la plus sûre est dans le mouvement des armées des puissances, précédé par des manifestes menaçants. »

Beaucoup d’historiens ont accordé à cette note bien plus de valeur qu’elle n’en a. Ce n’est point là la pensée ferme et le plan de l’Empereur : il n’avait qu’un plan : gagner du temps. Et voilà pourquoi il paraissait se rallier à l’idée du comte d’Artois qui, en retardant le départ du roi, ajournait par là même le problème. Entre la politique contradictoire du baron de Breteuil et du comte d’Artois, l’Empereur s’échappait.

Le comte d’Artois, qui l’a évidemment inspirée ou même rédigée avec l’approbation plus ou moins vague de l’Empereur, s’applique d’ailleurs à subordonner Louis XVI, à le lier : « Tout étant ainsi combiné avec les puissances,